Le Maréchal Jourdan
fallait démontrer aux membres du Comité de salut public, en particulier à
Collot d’Herbois, Billaud-Varenne et Robespierre, qu’ils faisaient le
nécessaire pour monter et réaliser une offensive alors qu’ils n’en
avaient pas la moindre titention. Par chance pour Jourdan, de son côté Saxe-Cobourg, en raison
surtout de la rigueur de la saison et de l’état du terrain, n’avait pas,
lui non plus, l’titention de bouger.
Cette temporisation, matérialisée par un abondant échange de courrier entre le quartier
général de l’armée du Nord, le Comité de salut public et le ministère de la Guerre à
qui Jourdan ne cessait de réclamer du matériel, allait durer un peu plus de deux mois et demi,
en fait jusqu’à la fin de l’année. Carnot et Barrère, qui avaient sur
leurs collègues l’avantage de s’être rendus sur place, se déclaraient
plus aptes qu’eux à juger de la situation et prenaient systématiquement la défense
de Jourdan lors des discussions. De même, Bouchotte, ministre de la Guerre, faisait montre de
beaucoup de compréhension et acceptait toutes les explications du général, promettant de donner
suite à ses requêtes.
Pourtant, excédé de voir ces civils totalement incompétents lui dicter la conduite à tenir,
Jourdan, le 4 novembre, offrit sa démission au Comité de salut public, jeu
d’ailleurs dangereux, car c’était un comportement difficilement
acceptable. Bien entendu, le comité rejeta avec indignation cette proposition et
écrivit : « Nous sommes affligés de voir un général républicain parler de
démission ! » C’était, en un sens, reconnaître ses torts et
surtout faire remarquer qu’il se mêlait un peu trop de ce qui ne le concernait pas.
Néanmoins, les atermoiements de Jourdan finirent par impatienter ses titerlocuteurs et,
le 10 novembre, ils le convoquèrent à Paris pour lui demander de justifier sa
conduite. Ses explications durent paraître convaincantes, car Carnot, l’ayant
soutenu jusqu’au bout, obttit la décision de suspendre les opérations pour la durée
de l’hiver.
Jourdan, confirmé dans son commandement, retourna donc à son quartier général. Mais les
membres du comité qui s’étaient acharnés contre lui ne s’avouaient pas
entièrement convaincus. Leur tâche n’était pas simple, car on pouvait reprocher
beaucoup de choses à Jourdan, mais certainement pas de faire preuve de tiédeur dans ses
sentiments politiques. Le 25 novembre, une nouvelle lettre de reproches était adressée
au général ; il ne tenait pas assez au courant le comité de l’évolution
de la situation sur le front de la Sambre. De son côté, il continuait à bombarder le ministre
de ses doléances : l’armée manquait de tout : armes,
munitions, chevaux, vivres, fourrage, vêtements, ce qui entraînait une recrudescence des
désertions.
En décembre, alors que l’état des routes rendait les communications et les
mouvements de plus en plus précaires, le Comité de salut public, par une décision aberrante,
ordonna à Jourdan de profiter justement de l’inertie de ses adversaires pour lancer
la fameuse offensive ajournée le mois précédent. L’armée n’était pas
davantage en état de réaliser une telle opération et, une fois de plus, Jourdan essaya de
temporiser. Mais, cette fois, ni Carnot ni Barrère ne parvinrent à redresser la situation et,
le 6 janvier 1794, le comité, à l’unanimité, décida de relever
Jourdan et Ernouf de leur commandement. Par la même occasion, il décréta leur arrestation.
Pichegru fut nommé au pied levé général en chef de l’armée du Nord, choix
d’autant plus curieux et qui montre à quelles erreurs pouvait se laisser aller le
gouvernement des deux comités que, dès ce moment, Pichegru trahissait la Révolution,
étant devenu un agent secret du comte de Provence (Louis XVIII).
Que Carnot et Barrère aient accepté d’apposer leur signature au bas du décret pris
contre leur protégé a donné lieu à de nombreuses questions. Auraient-ils tourné casaque et
décidé d’abandonner Jourdan dont ils s’étaient fait jusque-là les
protecteurs officiels ? Il semble bien que non. Au contraire, en agissant de la
sorte, ils paraissaient ne pas se désolidariser de leurs collègues et donnaient le change, ce
qui leur permettait sans en avoir l’air de continuer à protéger le
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