Le Maréchal Jourdan
L’ingénieur du génie Tirlet avait réussi à établir un pont de bateaux pour faciliter
les communications. Or, des brûlots furent lancés depuis l’amont et coupèrent
l’ouvrage. Kléber en conclut que des unités autrichiennes s’étaient
glissées entre lui et Jourdan et que ses propres forces étaient prises entre deux feux. Sans
perdre son sang-froid, il demanda à Tirlet de rétablir le pont le plus rapidement possible. Et,
assez curieusement, très vite l’arrivée des brûlots cessa. Kléber découvrit un peu
plus tard que ce n’étaient pas les Autrichiens qui avaient lancé ces petites
embarcations mais Marceau qui, ayant mal titerprété un ordre, avait cru que le pont était aux
mains de l’ennemi et avait entrepris de le détruire ! Tirlet ayant
procédé avec célérité aux réparations, Kléber put traverser le Rhin sans encombre et sans être
inquiété. Ce siège de Mayence se concluait donc par un échec. La faute en était imputable non
pas à Jourdan mais à Pichegru. De plus, le comportement de plus en plus étrange de ce dernier
amenait le gouvernement à se poser des questions à son sujet. Mais il n’existait
aucune preuve de sa trahison. En outre, ce n’était plus à la Convention, qui avait
mis fin à ses travaux en octobre 1795, mais au Directoire, fruit de la constitution de
l’an III, qu’il incombait de statuer sur le sort de Pichegru.
Régime infiniment plus libéral, son organe exécutif composé de cinq directeurs préféra
attribuer son comportement à son incapacité et le releva de son commandement.
En réalité, les preuves de sa forfaiture existaient bien et ce fut Moreau son successeur qui
mit la main dessus [1] . C’est l’affaire dite
« du fourgon de Klinglin ». Mais, délicatesse, solidarité entre généraux
face au pouvoir civil, au lieu de les transmettre à qui de droit, Moreau les conserva
par-devers lui et ne les rendit publiques que lorsque la trahison de Pichegru fut patente.
*
Comme l’Autriche, toujours alliée à la Grande-Bretagne,
entendait continuer les hostilités contre la France, le Directoire décida
de porter la guerre chez elle. Ce fut Carnot, un des cinq directeurs et le seul vraiment
compétent en stratégie, qui fut chargé de dresser les plans de campagne pour l’année
1796. Imitant Cobourg qui, deux ans plus tôt, avait voulu marcher sur Paris, il choisit Vienne
pour objectif, choix aussi politique que militaire. Il articula l’ensemble de ses
forces en trois armées. Deux d’entre elles, auxquelles incomberait le rôle
principal, opéreraient en Allemagne. La troisième, la moins importante, serait jetée en Italie
où elle n’aurait pour attributions dans l’esprit de Carnot que de battre
l’estrade et retenir sur place le plus grand nombre possible de grandes unités
autrichiennes.
Aux deux armées d’Allemagne furent affectés les meilleurs généraux
français : Jourdan et Moreau. Par contre, pour celle d’Italie, Carnot
pensa longtemps à Masséna qui s’était distingué l’année précédente à
Loano et qui connaissait parfaitement le terrain. Mais Barras, un des cinq directeurs, le plus
influent parmi ses collègues, voulut la faire confier à un de ses protégés. Ce général, qui
n’avait guère à son actif que d’avoir participé au siège de Toulon et à
la répression de l’insurrection royaliste du 13 Vendémiaire, venait de rendre un
signalé service à Barras en le débarrassant d’une ancienne et encombrante maîtresse
qu’il avait épousé. Il se nommait Bonaparte. Carnot s’opposa longtemps à
cette nomination, jugeant l’homme totalement incompétent et quelque peu farfelu. Il
finit par céder en pensant que, vu le rôle qu’il réservait à l’armée
d’Italie, cela n’avait qu’une importance mineure ;
de son côté, Barras, qui savait à quoi s’en tenir sur les capacités de Bonaparte, le
flanqua d’un des meilleurs chefs d’état-major dont disposait
l’armée française : le général Berthier.
En dressant son plan, Carnot commit une faute grave. Il fixa pour les armées
d’Allemagne des axes de marche très éloignés l’un de
l’autre : la première devait emprunter la vallée du Main et la seconde
celle du Neckar. Jourdan devait rejeter les forces qu’il trouverait devant lui vers
la Bohême, et Moreau, dans le même temps, gagner la vallée du Danube et
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