Le maréchal Ney
peu profiter.
Le domaine était important : un château et son parc de dix-sept hectares, un bois de cent quatre-vingt-dix hectares, des prés, des vignes, des labours, des fermes, des moulins et même une auberge, le tout pour la somme de huit cent mille francs qu’il déboursa sans difficulté. Par la suite, il devait encore l’agrandir en y joignant des terres voisines des siennes, dont le château de Pruneville. Quoique l’ensemble coûtât plus qu’il ne rapportait, Ney aimait à y jouer les gentilshommes fermiers et était assez fier de faire vendre les produits de son domaine au marché de Châteaudun. S’il s’y connaissait en chevaux, il était moins fort en agriculture et se laissait duper par ses tenanciers. En son absence, la maréchale y séjourna régulièrement avec sa famille et y reçut beaucoup.
Durant sa présence en France en 1807-1808, Ney vit grandir les deux aînés de ses quatre garçons. Joseph-Napoléon avait alors entre quatre et cinq ans et Michel un peu plus de trois. C’étaient encore des bambins et, suivant la coutume de l’époque, les parents les laissaient aux mains de gouvernantes, ne s’en préoccupant qu’une ou deux heures par jour. Ce fut précisément en 1808 que le troisième, Eugène, nommé ainsi par fidélité aux Beauharnais, vint au monde peu après le départ de son père pour l’Espagne.
La responsabilité de leur éducation retomba entièrement sur Eglé, même si le maréchal demeura quelque temps à ses côtés en 1811. Elle n’était pas très compétente, et du reste sa vie de cour l’absorbait trop pour qu’elle se penchât sur ce problème. Par chance, les enfants bénéficièrent de l’expérience de leur grand-tante, Mme Campan, qui prit en main leur instruction. Le quatrième et dernier fils de Ney, né en 1812, ne connut pratiquement pas son père. Ils allaient par la suite réussir pour trois d’entre eux de brillantes carrières militaires. Seul Eugène s’orienta vers la diplomatie, mais mourut jeune de la fièvre jaune, alors qu’il était en poste au Brésil.
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Avec quelque raison, Napoléon pensait que toute dynastie devait s’appuyer sur une noblesse, et comme ses efforts pour se rallier celle de l’Ancien Régime n’étaient pas couronnés de succès, il décida de créer la sienne. Le décret l’instituant fut signé par l’empereur le 1 er mars 1808. Les titres les plus élevés furent réservés aux membres de sa famille et aux grands serviteurs, à commencer par les maréchaux qui, à l’exception de Berthier fait prince régnant, se virent attribuer des duchés rappelant en théorie leurs exploits guerriers.
Napoléon hésita longtemps dans son choix et plusieurs intéressés se montrèrent réticents, voire franchement hostiles à ce qui leur était proposé. Ce fut ainsi que Jourdan, considérant que le titre de duc de Fleurus lui revenait de droit, refusa celui de duc des Abruzzes et se retrouva sans duché.
De même, Masséna ne voulut pas de la Calabre et finalement accepta Rivoli alors que ses amis estimaient que Zurich aurait mieux souligné sa magnifique victoire. Il fallut un marchandage avec l’empereur pour qu’il consentît à ce que Ney devînt duc d’Elchingen. Lui-même aurait préféré Gutstadt.
Eglé ne vit rien de tout cela. Elle était duchesse et peu lui importait de quoi. Désormais, à la cour, elle avait le pas sur une foule de dames. L’empereur appelait son mari « mon cousin », mais lui refusait « ma cousine ». Elle se montra d’autant plus satisfaite que, le train de vie qu’elle imposait coûtant fort cher, la nomination s’accompagna de nouvelles gratifications. Comptant toujours parmi les intimes de l’impératrice, elle pensait sa situation inexpugnable, aussi le divorce de Napoléon à la fin de 1809 lui porta-t-il un rude coup. Par fidélité, elle proposa d’accompagner Joséphine dans son exil de Malmaison, mais celle-ci refusa. Il fallut toute l’insistance de son amie Hortense pour qu’elle consentît à se rapprocher de Marie-Louise... puis elle s’en accommoda et parut de nouveau à la cour comme si de rien n’était. Cependant, elle ne sympathisa jamais avec la nouvelle souveraine.
À Paris, le maréchal demeurait sans affectation. Sa timidité, hors de la vie militaire, le mettait mal à l’aise. Il ne savait trop se comporter dans le monde, commettait des impairs et en souffrait. Pour une raison futile, il se querella avec le comte Tolstoï,
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