Le maréchal Ney
souffrant et ne le recevrait probablement pas. Rien n’y fit.
Tout aussi conscient que le maréchal de l’importance de la mission qui lui était confiée, le roi ne fit aucune difficulté pour lui accorder une audience. Malgré l’heure tardive, Ney fut reçu par le souverain, entouré de quelques gentilshommes de service, à onze heures du soir. En présence du prince, il se montra curieusement volubile et surexcité, comme s’il avait dû justifier de sa conduite. Ce n’était pourtant pas le cas. Son discours quelque peu décousu fut en quelque sorte une profession de foi. Ce fut ainsi que le roi le comprit.
À Louis XVIII qui lui recommandait une fois encore de faire tout son possible pour barrer la route à l’usurpateur, il répondit en réaffirmant son serment de fidélité. Puis à la fin, comme pour jeter l’éclat d’un appel de trompette, il lança : « Je me saisirai de lui, je vous le promets, et vous l’amènerai dans une cage de fer ! »
L’effet sur l’entourage du roi fut extraordinaire : une cage de fer ! Quel homme ! D’aucuns voyaient déjà l’ogre de Corse exhibé au Jardin des plantes en compagnie de singes ! Seul Louis garda son sang-froid et fit remarquer avec son humour habituel, après le départ de son visiteur : « Je ne lui en demandais pas tant ! C’est un singulier petit serin qu’il m’amènera là... Je crois qu’il fera ses efforts pour remplir sa promesse ; c’est un homme d’honneur. »
Au fond de lui-même, le roi eût sans doute préféré voir son ennemi tué dans l’affrontement et recevoir son cadavre. Mais il garda son opinion pour lui, appliquant sa maxime : « Toute vérité n’est pas bonne à dire. »
Avant le départ de Ney, un des familiers du roi suggéra qu’on lui adjoignît un prince, par exemple le duc de Berry, comme s’il y avait eu un doute sur sa fidélité. Après tout, au même moment, à Lyon, Macdonald était bien flanqué de Monsieur, comte d’Artois. Mais cette proposition de dernière minute ne fut pas retenue. La présence du duc de Berry était jugée préférable au côté de son oncle, qui n’en avait nul besoin. Il est permis de penser que si le duc avait accompagné le maréchal, le cours des événements n’eût pas été changé, mais que le sort du malheureux Ney eût été tout autre.
Pourquoi Ney adopta-t-il une attitude aussi outrancière ? Certes, il était dans son caractère de prendre des positions extrêmes. Il était sincèrement scandalisé que Napoléon eût tenté ce coup de force qui risquait de coûter fort cher à la France. Avec l’ardeur d’un néophyte, le maréchal tenait à rassurer le roi sur la conduite qui serait la sienne. Mais, précisément, il ne lui était demandé aucun autre engagement que de faire son devoir. C’était tout simple. Voulait-il de cette manière balayer les soupçons qui avaient pu naître sur sa conduite ? Tenait-il à s’acquérir la sympathie de cette noblesse qui le boudait ? Pour un bref instant, il n’y réussit que trop. En tous les cas, il ne s’expliqua jamais sur une incontinence verbale qui pesa lourd sur son destin.
*
Alors qu’il courait la poste vers Besançon, Ney reçut plusieurs messages de Bourmont, de plus en plus alarmants, le suppliant de se hâter. Il en fut d’autant plus étonné que ce général passait pour n’être pas émotif. Le maréchal Soult l’avait assuré qu’il avait la situation bien en main, ainsi que les moyens de faire face aux événements. Certes, il savait maintenant que Napoléon, évitant la Provence et la vallée du Rhône où la population ardemment royaliste avait failli le lyncher l’année précédente, s’était jeté dans la montagne et gagnait Grenoble. Mais il ignorait que l’empereur eût déjà atteint cette ville, qui s’était donnée à lui sans la moindre résistance.
Ney arriva le 10 à Besançon et comprit immédiatement les craintes de Bourmont. Soult ne lui avait pas dit la vérité. Aucune des mesures annoncées par le ministre n’avait été prise. La garnison se montait à peine à cinq cents hommes et les régiments qui auraient dû y être concentrés se trouvaient dispersés aux quatre coins de la province. L’état-major était inexistant. On manquait de chevaux, de harnais, de munitions. Bref, de tout. Passant par-dessus la tête de Soult, dont il commençait à se demander quel jeu il jouait, Ney adressa un télégramme qui était une protestation furieuse
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