Le maréchal Ney
de Bourbon-Busset, se présenta au quartier général de Besançon. Il apportait l’annonce de la défection de La Bédoyère, confirmait la chute de Grenoble et annonçait celle de Lyon.
Qu’un La Bédoyère, homme perdu de dettes, ait rallié Napoléon contre des promesses d’argent pouvait à la rigueur se comprendre, mais que tous ses hommes l’aient suivi étonna Ney une fois de plus. À présent, l’usurpateur devait être à la tête de près de dix mille hommes, alors que le duc d’Elchingen n’en avait pas beaucoup plus de six mille. Mais cette disproportion de forces n’inquiéta pas Ney outre mesure. Devant Bourbon-Busset, il donna des ordres pour que ses régiments fassent mouvement dès le petit jour. Il avait compris, et il était un des seuls à l’avoir entrevu avec Napoléon lui-même, que s’il obtenait de ses troupes qu’elles tirent sur les autres (mais tout le problème était là), la tentative de Napoléon s’écroulerait d’elle-même. En effet, dès ce moment, l’ex-empereur ne serait plus que le général Bonaparte auteur d’un pronunciamiento, un rebelle que le pouvoir devrait passer par les armes aussitôt qu’il l’aurait capturé. De plus, cette fusillade serait le signal d’une guerre civile, ce que les Français redoutaient par-dessus tout. Mais ils seraient contraints de prendre parti et la majorité d’entre eux se prononceraient ouvertement contre l’usurpateur.
Il exposa sa théorie à son hôte qui la trouva frappée au coin du bon sens. Ils se séparèrent alors, le comte pour rejoindre son maître et le rassurer quant aux dispositions d’esprit du maréchal, ce dernier pour prendre la route de Lons-le-Saunier. Il y arriva le 12 dans la nuit. Aussitôt il réunit les officiers des régiments présents et les harangua pour leur dire qu’il comptait sur leur fidélité au roi et sur leur obéissance. Aucun ne broncha, ce qui donna bon espoir aux trois généraux. Sur sa lancée, Ney écrivit à Soult, qu’il croyait toujours ministre, pour le prévenir qu’il descendrait vers Mâcon dès qu’il aurait toute son artillerie. Dans le même temps, il prescrivit à l’arsenal de Besançon de lui fournir cent mille cartouches, ce qui représentait une puissance de feu considérable.
Ney avait raison d’agir avec autant d’énergie. En effet, Napoléon ne demeurait pas inactif. Il devait précipiter sa marche, car le soulèvement des garnisons du Nord, fomenté par Lefebvre-Desnouette et les frères Lallemand, avait été éventé par la police et les trois généraux conspirateurs arrêtés.
Cependant, à Lons-le-Saunier, la situation évoluait de jour en jour, presque d’heure en heure. La fameuse proclamation de Napoléon accompagnée d’une lettre parvint au maréchal le soir du 13 mars. L’empereur disait l’attendre à Châlon et l’assurait, ce qui était un mensonge grossier, qu’il avait conclu un accord avec l’Autriche et comptait incessamment sur l’arrivée de Marie-Louise accompagnée du roi de Rome. Ces documents, sur le moment, firent peu d’effet sur Ney.
Ce ne fut que dans la nuit du 13 au 14 mars que le maréchal commença à penser que la situation devenait telle qu’il fallait peut-être envisager un ralliement à l’empereur. Ce n’était pas une idée folle, mais un raisonnement logique. Il s’en ouvrit à son aide de camp, le capitaine Levavasseur, qui le mit en garde : « Monsieur le maréchal, Bonaparte ne vous pardonnera jamais votre conduite à Fontainebleau. » Cette remarque frappa Ney, mais il voyait, répliqua-t-il, toutes les issues se fermer les unes après les autres. Il était à présent convaincu que les régiments ne consentiraient jamais à marcher contre leurs camarades et l’empereur. D’ailleurs, l’artillerie n’arrivait toujours pas. Au matin du 14, il apprit qu’une colonne de trois batteries venant d’Auxonne avait été interceptée à Chalon-sur-Saône par la populace qui avait brisé les affûts et jeté les tubes dans le fleuve aux cris de « Vive l’empereur ! » Il convoqua de bonne heure ses deux commandants de division qui arrivèrent l’un après l’autre. Bourmont était toujours irrésolu et Lecourbe déclara franchement qu’à aucun prix il ne servirait « ce bougre-là ».
Ils convinrent que l’état d’esprit des hommes ne permettait plus d’affronter les troupes de l’usurpateur. Les soldats se débanderaient avant le premier coup de feu, à supposer qu’ils
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