Le maréchal Ney
lui manquèrent pas. Vindicatif comme il savait l’être, Napoléon ne l’emploierait qu’à son corps défendant et il en était conscient. Malgré tout, il persista dans son erreur.
En fin de soirée, Bourmont et Lecourbe, animés par des motifs diamétralement opposés, prirent congé de lui pour rentrer, dirent-ils, chez eux. Encore une fois, ils supplièrent le maréchal, qui ne les retint pas, d’imiter leur exemple. Pourtant, il est certain que le roi, comprenant les causes profondes de son échec, l’eût accueilli avec sa clairvoyance habituelle et eût fermé les yeux sur l’outrance de ses propos.
Dans les semaines qui suivirent, Bourmont, changeant une fois de plus d’opinion, accepta un commandement dans l’armée impériale. Il sollicita la recommandation de Ney, pourtant à ce moment en semi-disgrâce, avant de repasser dans le camp royal à la veille de Waterloo. Dans le même temps, Ney se voyait bombardé de messages par le préfet Gamot, son beau-frère. Ce dernier l’adjurait de rejoindre au plus vite l’empereur, « car celui-ci l’attendait avec impatience ». Il partit le 15 mars en voiture de Lons-le-Saunier pour gagner Mâcon, où il espérait rencontrer Napoléon.
*
Ayant été informé que la menace représentée par Ney sur son flanc droit n’existait plus, Napoléon n’eut pas même la courtoisie de l’attendre. Ce ne fut pas avant Auxerre que le maréchal rejoignit l’empereur. Sur sa route, il ne cessa de se quereller avec le capitaine Levavasseur, qui lui faisait remarquer qu’il n’était acclamé « que par la canaille » et se montrait de plus en plus anxieux sur le sort qui serait le sien.
Il avait noté en effet que notables et bourgeois sur son passage se renfermaient dans un silence prudent, pour ne pas dire hostile. Ce retour de l’empereur ne leur paraissait pas de bon augure et ils n’en attendaient rien de positif. Auxerre, dont le préfet était précisément le beau-frère de Ney, paraissait hostile comme bien d’autres villes. Parvenu à la préfecture tard dans la soirée du 17 mars, Ney ne fut reçu par l’empereur que le lendemain matin. Pourtant Napoléon avait été prévenu par le général Bertrand de sa présence dès son arrivée. Mais il lui avait fait dire assez cavalièrement : « Dites-lui que je l’aime toujours et que je l’embrasserai demain. »
L’entrevue entre les deux hommes se tint le 18 au matin et fut dans l’ensemble assez orageuse. Elle se déroula hors de la présence de témoins. Mais les aides de camp et généraux demeurés dans la chambre voisine entendirent les éclats de voix prouvant suffisamment que le dialogue manquait d’aménité. Ney trouva l’empereur vieilli, bouffi de mauvaise graisse, n’ayant plus rien du chef dynamique qu’il avait connu et estimé. De son côté l’empereur, qui remâchait ses griefs, commença par se montrer distant. À la fin, Napoléon voulut faire preuve d’amabilité et s’enquit de l’importance du corps de Ney. L’annonce de six mille hommes le déçut. Il avait cru avoir affaire à plus forte partie et comprenait un peu tard qu’il s’était peut-être alarmé pour rien. En tout cas Ney sortit du salon bien convaincu que, malgré ses bonnes paroles, Napoléon n’avait ni oublié ni pardonné la scène de Fontainebleau... Et encore ne connaissait-il pas l’épisode de la cage de fer ! La prophétie de la duchesse de Vicence : « Vous verrez qu’il pardonnera à tout le monde » tombait donc à plat. Aussi, pour obéir à l’empereur qui lui avait demandé de lancer des mandats d’arrêt contre Bourmont, Lecourbe et Mermet, les signa-t-il. Après quoi il les fourra dans sa poche, bien décidé à ne pas les faire exécuter.
Cependant à Paris on avait longtemps cru que Ney, et lui seul, arrêterait la marche de l’ogre de Corse. Il représentait l’ultime espoir de la monarchie. Du reste, les rapports du duc de Maillé et du comte de Bourbon-Busset avaient contribué à bercer d’illusions les milieux royalistes. Les nouvelles les plus fantaisistes sur la marche et les succès de Ney contre l’envahisseur furent colportées et même publiées... Aussi lorsque Bourmont, parvenu en toute hâte dans la capitale le 18 mars au matin, confirma la volte-face du maréchal, la déception fut-elle encore plus grave. À dire vrai, plusieurs ministres depuis la veille en avaient eu l’écho, mais avaient jugé préférable de garder pour eux
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