Le mariage de la licorne
brutalement et un homme tomba à la renverse, sur le dos, serrant encore une longe dans sa main. Un autre s’efforçait en vain de faire reculer le grand cheval noir qui menaçait de le piétiner. Tonnerre battait l’air de ses sabots astiqués et roulait des yeux mauvais. Il se laissa retomber sur ses pieds et rua, l’encolure arrondie. Un ouf ! suivi du bruit d’une chute prouva aux occupants de la maison qu’il avait fait mouche. Tonnerre recula dans la cour où les autres hommes, s’en étant revenus du village les mains à peu près vides, tentaient en vain de l’encercler. Un calice volé à l’église roula jusqu’au seuil de la maison. Son prétendu propriétaire, dont le but avait été de s’en faire un luxueux hanap, s’en allait en titubant : il saignait du nez.
L’individu à la barbiche n’eut guère le loisir de se soucier de la commotion que la monture convoitée avait causée au sein de sa troupe : Louis le saisit par le bras, tira et lui assena un coup de tête en pleine figure. À demi assommé, l’homme desserra quelque peu son emprise. Cela fut suffisant. Louis se redressa et lui administra un coup de poing qui le fit trébucher contre le coffre. Le routier s’affala de tout son long sur la table. La brigantine* de l’Anglais fut semée de débris de vaisselle et de mangeaille.
Tonnerre parvint enfin à écarter les indésirables et prit au galop la direction du pré qui s’étendait derrière la maison. James de Pipe cligna des yeux effarés en apercevant ses hommes qui se rassemblaient devant la porte de la maison, maladroits, le corps endolori et l’esprit embrouillé. Quelque chose de froid lui effleura la gorge. C’était la dague de Louis, qui se tenait juste à côté et abaissait sur lui un regard malicieux. En une fraction de seconde, les rôles s’étaient inversés. La bande au grand complet était réduite à l’impuissance par la déconfiture de son chef, qui ricana faiblement en disant :
— All you have, heh ? You bloody liar (78) .
— Margot. Sers-leur à manger, dit Louis sans quitter l’Anglais des yeux.
— Quoi ?
— Sers-leur à manger, j’ai dit, et n’oublie pas le vin.
Un bouilli achevait de mijoter dans l’âtre. Il n’allait pas y en avoir suffisamment pour nourrir tout ce monde. La gouvernante parvint néanmoins à verser dans les neuf écuelles qu’ils possédaient une louchée du potage consistant. Pour les autres, elle dut se résoudre à utiliser des gobelets qui n’avaient pas été cassés.
— Et nous alors, on va manger quoi ? souffla Toinot entre ses dents.
Louis le regarda brièvement et répondit :
— Estime-toi heureux de ne pas avoir eu de la terre plein la bouche pour souper.
Cela suffit à faire taire Toinot et son estomac qui protestait. Louis lui dit encore :
— Tiens, surveille-le.
Il remit sa dague par la lame à l’homme râblé qui s’était approché.
Aedan fut déménagé dans le lit de sa chambrette qui se trouvait dans l’aile des domestiques. Le vieil homme était redevenu très calme. Tout le monde faisait semblant de ne pas remarquer son teint livide, ni les gouttelettes écarlates qui luisaient parfois depuis la commissure des lèvres, tels de petits rubis, et qui sinuaient dans sa barbe désordonnée. Seulement quelques gouttes. Terribles. Hypocrites. En présence de Sam, Louis appliqua à l’Escot* des linges oints d’une huile où avaient macéré ensemble de la sauge, de la lavande, du géranium, du romarin, de la camomille et du thym.
— C’est pour amoindrir la phlegmasie*, expliqua-t-il.
— Merci bien.
Les yeux rivés au plafond de la chambre, il sembla prêter l’oreille aux voix fortes des Anglais qui s’étaient rassemblés dans la grande pièce.
— Ils sont encore là, remarqua-t-il.
— Oui. Ils doivent être passés au vin. J’en avais un peu mis de côté.
Aedan tourna doucement la tête vers Sam et dit :
— Eh, petit, n’oublie pas de surveiller celui à qui j’ai planté ma fourche dans le cul. Il va arroser partout.
Les deux Escots* rirent tout bas. Aedan reprit son souffle. Les yeux émeraude de Sam passèrent de son grand-père à Louis, qui se tenait debout au pied du lit. Il y eut un silence embarrassé.
— Excusez-moi, dit Louis subitement, et il quitta la pièce. Sam dit :
— Voulez-vous de la musique, seanair* ? L’enfant n’attendit pas de réponse.
— Je reviens tout de suite, dit-il en sortant à son tour.
Il ne
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