Le mariage de la licorne
déjà, brandissait sa hache. C’était trop tard. Seul l’instinct le poussait à persister dans sa tentative de fuite, mais il obéissait aveuglément à cet instinct. Il regarda droit devant lui, en direction d’un endroit où l’élément liquide était moins encombré. C’était sa seule issue, elle était là, tout près, mais il allait être incapable de l’atteindre à temps. Les éclaboussures produites par son poursuivant l’arrosaient déjà. Le fond du marais se déroba sous ses pieds et il tomba encore. L’eau le recouvrit.
Sam ferma les yeux très fort et se laissa dériver mollement, s’attendant d’un instant à l’autre à couler pour toujours dans l’eau noire, frappé à mort.
Mais il ne se passa rien. Il osa à peine bouger et, après quelques secondes, il ne permit qu’à sa tête d’émerger légèrement. Ainsi, il put encore entendre derrière lui des bruits d’éclaboussures. L’Anglais était toujours là. Mais il ne frappait pas. Sam refusa soudain d’attendre davantage. L’homme avait eu sa chance, il ne l’avait pas prise. Tant pis pour lui. Il n’était plus question maintenant de se laisser tuer sans résister. D’abord, l’enfant s’éloigna d’un coup de reins avant de se retourner sur le dos pour essayer de comprendre ce qui arrivait.
C’était Louis qui survenait, son épée au clair. Il rejoignit le bandit en moins de deux. Leurs armes s’entrechoquèrent par une, deux, trois fois avant que le routier n’en vînt à se rendre compte que sa hache ne faisait pas le poids contre cet escrimeur : elle contraignait trop son propriétaire à lever le bras. L’homme le savait. Pourtant, il leva quand même le bras une fois de trop et hurla. Il échappa sa targe*. Elle se mit à flotter devant lui comme une petite barque. Un avant-bras sectionné tomba mollement par-dessus. Sam manqua s’étouffer. La grande épée s’éleva, s’arrêta, puis fendit brutalement l’air de biais. Sam vit la lame s’enfoncer dans le ventre du bandit, qui se plia en deux. D’une secousse, Baillehache poussa l’Anglais dans l’eau afin de frapper encore. Après quoi il se pencha au-dessus de sa victime immobile. Des mèches humides dissimulaient en partie le visage du métayer, et son épée abaissée ruisselait d’eau rougeâtre. Le routier ne bougeait plus. Tout autour des deux hommes, le vivant et le mort, l’étang rougissait.
Pour Sam, bien davantage que pour le routier, le temps s’arrêta. C’était la première fois qu’il voyait quelqu’un mourir. Ce n’était pas du tout ce à quoi il s’était attendu. Dans les fables, les gens frappés à mort criaient et se laissaient tomber comme pour dormir. Même les guerriers. C’était d’ailleurs comme cela qu’Aedan avait trépassé. On ne parlait nulle part des affreux gargouillis ni du sang qui giclait avec cette odieuse abondance. Aucun conte ne parlait jamais de cette eau sale recouvrant le visage livide du défunt comme un linceul. Ni de cette main qui serrait encore la garde de la grande épée. Une main qui avait tué. Sam n’osait pas bouger. Pétrifié, il fixait Louis qui s’était redressé et le regardait à son tour.
— Il a son compte. Ça va ? Rien de cassé ? demanda le tuteur du ton égal que Sam lui avait toujours connu.
Le garçon sursauta.
— N-non, j’ai rien, répondit Sam dont la voix trahissait un peu trop à son goût un état d’esprit qu’il eût préféré garder pour lui.
Louis vint rejoindre le garçon et l’aida à se relever. Il avait une estafilade au bras. À ce moment, l’Escot* découvrit avec étonnement l’existence d’une écorchure sous son propre genou. Deux petites choses noires et gluantes y adhéraient goulûment. Avec une grimace de dégoût, Sam y porta la main. Louis l’arrêta en lui prenant le poignet.
— N’y touche pas. Ce sont des sangsues. Ça nettoie les plaies. Lui-même se baissa pour tremper son avant-bras dans l’eau trouble et ne l’en ressortit que lorsqu’il en eut recueilli à son tour quelques-unes sur sa blessure.
— Hourra ! criaient les hommes d’Aspremont.
Ils s’assemblaient sur la berge en piétinant quatre cadavres.
*
Le roi Jean le Bon fut temporairement libéré. De retour sur le continent, il était fermement résolu à débarrasser une bonne fois pour toutes la France des Tard-Venus. Cependant, il n’était nullement libéré de l’âpre rançon dont s’enrichissait à intervalles réguliers le
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