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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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extrêmement dangereux d’énoncer pareil commentaire à son roi.
    — Pardon, sire, mais vous m’aviez demandé mon avis. Ça l’est.
    — Tu n’as pas à me demander pardon. Tu es mon ami. Mais montre-toi tout de même prudent. Cette pensée, eût-elle été formulée par un autre que toi, eût valu un séjour plus ou moins prolongé en geôle à son auteur. Avec, bien entendu, tous les privilèges qui s’y rattachent et que tu connais mieux que moi.
    — Oui, sire.
    — C’est quand même dommage. Parce que ce qui est le plus admirable dans ta question, cher ami, c’est qu’elle est tout à fait justifiée. Elle me ramène à mes motivations premières que j’ai trop vite tendance à oublier au profit d’objectifs secondaires. Tu me fais réaliser pleinement que rares sont ceux qui arrivent à saisir toute la complexité de ces manœuvres politiques.
    Le trio se remit en marche.
    Depuis qu’il avait commencé à assister aux séances du conseil, Louis apprenait à mieux connaître le monarque qu’il servait. Charles était un homme prompt qui prenait ses gens par surprise avec des ruses et des rages spectaculaires. Cela laissait pantois tout le monde autour de lui, et Louis avait une longueur d’avance sur les autres, car il savait encaisser sans réagir. Ce qu’il aimait chez le roi, en revanche, c’était sa façon de méditer l’un ou l’autre problème qu’on lui soumettait : il y mettait très peu de temps et, une fois émises, ses opinions avaient force de loi. Tout était simple avec Charles de Navarre.
    — La pire erreur de mes cousins Valois qui règnent désormais sur la France, c’est d’avoir mésestimé la valeur de la féodalité. Elle eût pu être leur meilleure alliée. Philippe le Bel, lui, n’avait pas besoin d’elle. Il était puissant. Par conséquent, il pouvait se permettre de la désarmer. Mais les Valois ne sont pas puissants. Eux qui ne savent pas se défendre ont eu le tort de désarmer la féodalité et, une fois la guerre venue, le roi Jean n’a rien trouvé de mieux à faire que de lui rendre son épée. Elle ne subsiste plus depuis longtemps que par principe. Elle n’est qu’orgueil, faiblesse et vanité. Elle ressemble à une gigantesque armure vide qui menace et brandit la lance, mais qui s’écroule dès lors qu’on l’effleure. Quel affreux gâchis.
    Le jeune monarque soupira et jeta un coup d’œil nostalgique au ciel hivernal.
    — À partir du moment où j’ai su sans l’ombre d’un doute que le trône de France ne serait jamais mien, je me suis tourné vers Édouard d’Angleterre à qui j’ai cédé, entre autres, la Brie et la Champagne. Toutefois, j’ai pris soin de ne pas céder les quelques places que je détiens en Île-de-France. Inutile d’aller au-devant des ennuis en m’isolant au sud avec ces deux têtes couronnées avides qui se bousculent l’une l’autre aux portes de mon royaume. Que l’un gagne haut la main et, pfut ! j’en serai quitte pour me faire dévorer par lui.
    Isabeau semblait avoir l’habitude de ces réflexions faites à voix haute, car elle fit comme si elles ne requéraient pas de réponse. Cela devait sans doute être le cas. Louis s’abstint lui aussi de parler pour des raisons évidentes. Charles poursuivit avec emphase.
    — Or, ne pouvant me dresser ni contre l’un ni contre l’autre, même pour la sauvegarde de mon royaume, mes seules armes demeurent les traités.
    Il s’arrêta de nouveau et laissa Louis arriver à sa hauteur avant de s’expliquer.
    — On m’accuse de félonie parce que je négocie avec l’un pour ensuite me tourner vers l’autre. Certes, j’utilise la situation à mon profit. Qui donc m’en blâmerait ? Des centaines de marchands en font autant et on ne leur en tient pas rigueur. Mais qu’un roi s’avise de les imiter et, oh là là ! c’est la catastrophe. Qu’en pensez-vous ?
    — C’est le simple bon sens, dit Isabeau.
    — Eh bien, oui. J’ai pour mon idée qu’il ne s’agit là que d’une sage précaution. Puisque c’est déjà la guerre de toute façon et que je ne puis m’approprier la couronne de France, moi, un Capet, je ne vais sûrement pas me gêner pour aider le cousin d’Angleterre à déplumer l’usurpateur Valois et, par la même occasion, m’enrichir un tantinet à ses dépens.
    Tout au long de la promenade, Isabeau d’Harcourt se tordait le cou pour émailler les pas de Louis avec des sourires amicaux. Si Charles l’avait

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