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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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impénétrable, ils le menèrent un soir en grand mystère dans le fameux Drageoir aux Épices.
    Ce réduit auquel on ne pouvait accéder qu’en traversant la chambre du chevalier, elle-même vraie redoute garnie de panoplies d’armes à feu et de piques, était condamné par une porte en fer dissimulée sous le cadre pivotant d’un lambris. C’était un cabinet carré, sans jour, d’à peu près dix pieds de côté, garni sur toutes ses hauteurs d’un meuble noir à tiroirs et volets coulissants. La fine écriture de l’abbé s’était employée là à un stupéfiant classement qui ne ressemblait à aucun de ceux auxquels Victor, après un mois de labeur, avait fini par se rompre. D’un bout à l’autre on pouvait en effet lire une série de noms qui s’égrenaient chaotiquement comme l’inventaire des fioles à poisons d’une apothicairerie satanique : princes du sang, armées et séditions, cours étrangères, correspondance avec l’ennemi, affaires de la dynastie, légitimés et bâtards, pactes sur successions futures, espérances d’hériter… Enfin, sur tout un pan de ces cases, revenait à intervalles réguliers, tel un motif fleuri sur un papier peint, le mot police agrémenté de toutes sortes d’épithètes plus ou moins troublantes : police de Paris… de Versailles… des jeux… des théâtres… de la librairie… des mœurs… (de celle-là il y avait bien dix tiroirs), des couvents… de l’Université… des cabarets… des étuves… des corps de garde…
    Le chevalier fit glisser son petit chandelier de Delft au long du bandeau d’ébène incrusté d’un entrelacs de tibias et de crânes qui ceinturait la pièce.
    – Il y a là derrière, confia-t-il les lèvres frissonnantes, suffisamment de venin et d’arsenic pour réduire le gros des gens qui comptent au triste état que vous voyez figuré sur cette frise.
    Victor considéra les rayonnages de ce pourrissoir avec effroi.
    – Je suis sans doute bien jeune pour avoir connaissance de choses aussi terribles ! hasarda-t-il dans un bruit de glotte.
    – Il faut un début à tout ! répliqua hautement l’abbé, mon frère et moi vous jugeons de taille à barboter dans ce ragoût… Rassurez-vous ! nous vous ferons grâce des affaires qui sont en pot ; vous vous contenterez des arrivages et puisque, hélas ! nous n’avons aucun motif de croire que les turpitudes à venir se raréfieront, vous vous formerez de la sorte très vite au déroulement sans fin de la geste du vice. Les mœurs évoluent mais la noirceur des âmes est immuable !
    – Domine retribuere dignare omnibus nobis bona facientibus 152 ! fit sourdement le chevalier en accompagnant ses paroles d’un rire opaque destiné à moquer les manières sentencieuses de son frère.
    Tandis qu’il s’amusait à débiter cette simagrée d’oraison, son regard, allumé par l’excitation que causait sur sa causticité la proximité de tant de crapulerie, s’était mis à pétiller dans l’ombre.
    – Et d’où viennent ces informations ? demanda Victor.
    – Des sources les plus diverses, répliqua l’abbé, mais aussi des plus sûres. J’aime à le dire souvent, notre police est mieux faite que celle du roi… À celle-là, à cause des cabales et des rebonds du ministère, il manquera toujours cette mémoire lente que nous cultivons ici depuis quarante ans et qui, se sédimentant et se recoupant, permet de dresser le portrait toujours exact des petitesses et des crimes… Comme monsieur d’Argenson 153 nous avons nos espions, mais ce sont les meilleurs parce que nous les payons mieux. Ils font la queue chaque matin devant le guichet du bonhomme Durville qui vend au rez-de-chaussée de ce palais les places de parterre pour l’Opéra. C’est notre plus dévoué complice… Il connaît à fond le monde des mouches 154 et la marchandise qu’il achète est loyale.
    L’abbé rapprocha d’un coup sa hure ébouriffée et pleine de poudre avant de poursuivre sur un ton rabaissé :
    – Gardez-vous cependant, mon garçon, de nous confondre avec de quelconques chiffonniers car, tels les maîtres de chais des meilleures caves de notre Bourgogne, nous ne gardons ici que le meilleur… Le nectar ! le nectar seul importe ! Voici la maxime qu’il vous faudra sans cesse garder en tête pour apprendre à enrichir utilement cette collection, dernier argument du prince notre maître contre les empêcheurs de tous poils.
     
    Et de fait, dès le lendemain, la mallette de cuir

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