Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
Vom Netzwerk:
l’abîme ouvert par la grimace qui venait de plisser les coins de sa bouche. Les bras demeurés raides et tendus devant lui, son poignet droit ceint d’un manipule rouge, il se relâcha d’un coup pour s’écrier :
    – Je suis bien fou et bien indigne, moi qui ose vous parler ainsi et dont le cœur, à mesure que j’avance, se soulève de haine… Priez pour moi, mes frères !
    Ayant assené ces paroles stupéfiantes, il dévala l’escalier de la chaire et disparut dans l’un des bas-côtés, laissant un long murmure rouler dans l’assistance.
     
    Stella, restée confinée depuis son arrivée dans les trois pièces qu’occupait Victor, avait employé ses prodigieux dons d’observation à régler sur la mécanique de l’Hôtel Davignon chaque détail des commodités de son dieu. Elle demeurait invisible, cachée le plus souvent dans le repli d’une tenture, mais sa fébrilité, à l’instar du feu qui paraît se dévorer de plus belle dès qu’un écran en dérobe la vue, s’activait en secret. Elle avait appris à diviser le temps en rapportant les va-et-vient de la cour à la course des aiguilles du cartel d’applique niché dans un lambris de l’antichambre. Elle veillait aux tisons, aux papiers, au vestiaire encore modeste de l’apprenti élégant, observant le flux de la vie dans la maison, suivant exactement la ronde des lumières et l’incessant ballet des valets qui allumaient ou mouchaient les chandelles au fur et à mesure que leurs maîtres bougeaient. Le soir, assise près d’une fenêtre, un plateau de victuailles posé à portée à même le parquet, elle détaillait avec passion chaque geste de Victor. Elle souffrait pour lui des soupers interminables, elle le suivait au salon singeant sur ses lèvres mortes le mouvement des bouches de ceux qui babillaient, enfin, lorsqu’elle voyait qu’on se levait, qu’on s’embrassait, son cœur battait ; elle s’impatientait de voir jaillir par la porte le rai de lumière du bougeoir qui lui annoncerait qu’il n’était plus qu’à elle. Le matin, vers cinq heures, alertée par l’espèce d’ébranlement que provoquait l’ouverture des deux vantaux de la porte cochère, elle tirait les rideaux puis les courtines du lit avant de courir prendre dans la cheminée le broc d’eau tiède qu’on destinait aux ablutions du lever. À ce moment, il la faisait invariablement s’esclaffer lorsque, plongeant sa tête au fond de la cuvette, il soufflait en déchaînant de gros bouillons qui rejaillissaient par terre.
    Cette vie réglée, dans laquelle tant chez ses parents que chez les Thésut, le jeune exilé avait appris à se couler, eut l’étrange vertu de bousculer le temps et faire défiler les jours de ce triste automne. Victor s’émerveillait lui-même de découvrir les ressources de sa volonté et sa faculté de les bander pour calquer ses actions sur ce qu’on attendait de lui. Les longues heures passées au Palais-Royal, dans le naufrage de la besogne, lui faisaient oublier la douleur du déracinement et l’impossibilité où il se trouvait, depuis qu’il avait été éconduit par Brandelis de Grandville, d’exécuter la promesse faite à Maximilien de Carresse.
    Les Thésut furent d’ailleurs vite stupéfaits de la rage qu’apportait leur élève à faire oublier la confusion des premières heures passées chez eux.
    – Continuez à ce train ! lui répétait l’abbé en trépignant de joie et vous nous remplacerez bientôt avantageusement auprès de Son Altesse… Nous pourrons mourir tranquilles. Du moins prendre un peu de repos, rectifiait-il en clignant d’un œil.
    Les affaires que préparait Victor furent en quelques jours l’universalité de celles qui remontaient du rez-de-chaussée jusque dans le grenier des Thésut. Les deux frères béaient d’amiration devant les notes de synthèse courtes et précises dans lesquelles transparaissaient les qualités de rigueur que monsieur de Gironde et l’abbé de Tressan avaient inculquées au seul continuateur de leurs deux lignées. Celui-ci en fit tant qu’au bout de deux semaines, afin de lui permettre d’aller plus vite et plus loin dans sa tâche, ils décidèrent de lui adjoindre un secrétaire, un certain Ponceau, bachelier pauvre entré chez les Orléans par protection. Enfin, vers la fin d’octobre, le trouvant assez sûr pour l’initier à quelques-uns des redoutables secrets dont ils n’avaient parlé jusque-là qu’en se parant d’un masque

Weitere Kostenlose Bücher