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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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seigneur qui veut traverser ? demanda cette créature ouvrant un œil et en tirant par le guichet un passe-montagne crasseux qui inscrivait sa face rougie dans un nimbe repoussant.
    – Secret d’État ! appelle plutôt le passeur ; nous sommes pressés.
    – Le passeur c’est mon fils, proclama fièrement la bonne femme, pour le moment il dort.
    – Comment, s’étonna vivement le serviteur de Vendôme, dormir lorsqu’il est trois heures et qu’un personnage considérable se présente pour passer ?
    – C’est qu’il a bien mérité son sommeil, s’obstina la vieille, on l’a dérangé toute la nuit pour traverser du vin.
    – Dis donc, la mère ! fit observer le cocher avec un air de grand soupçon, ce ne sont pas des heures très honnêtes, ça, pour charrier des barriques… Toi et ton fils m’avez tout l’air de faire une sacrée paire de trafiquants.
    – Oh ! pour ça non, protesta la gardienne du bac en s’extirpant enfin de sa guérite, c’était du vin nouveau que les moines de Notre-Dame-des-Mesches faisaient venir pour dire leurs messes.
    Et partant d’un rire sonore, elle retroussa sa robe de droguet et s’élança dans la boue à grands flip-flop pour gagner l’habitation située en contrebas.
    – Que diable font ces drôles ? fulmina le duc en entrouvrant sa portière.
    – Elle est allée réveiller son fils, répondit le cocher, j’ai l’impression qu’ils sont aussi saouls l’un que l’autre.
    – Va leur donner le fouet de ma part, reprit le cousin du roi qui s’était mis à sacredire, ces gens ont à apprendre le respect !
    Comme le cocher s’éloignait, Vendôme le rappela en sifflant comme font les portefaix.
    – Plutôt non ! rectifia-t-il en partant d’un rire crapuleux, tu leur diras que ces chatouilles sont par ordre du duc d’Orléans !
    Au bout de cinq minutes, le cocher reparut, poussant du bout de ses housseaux crottés le passeur et sa mère qui rampaient devant lui dans les flaques en articulant des grognements.
    – Les voici plus ivres que des porteurs d’eau le dimanche ! proclama-t-il en faisant claquer les lanières de cuir de son fouet au ras des oreilles des deux pauvres hères, j’en étais sûr, ils ont profité de la nuit pour dérober une barrique aux moines !… Le gaillard était couché, la bouche ouverte, sous la bonde qui laissait couler un gros filet.
    – N’avez-vous pas honte, misérables ? s’écria Vendôme en prenant bien soin de ne pas se montrer, vous mériteriez que je vous fasse jeter à l’eau sans autre forme de procès… J’en ai le droit et il n’y a que la nécessité où je suis de traverser ce fleuve qui me retienne de le faire !
    – Pitié, Excellence ! supplia la vieille qui avait continué de se pousser à deux genoux jusqu’au carrosse, mon fils travaille dur… La folie lui est montée à la tête mais je saurai le corriger.
    – Bonne femme ! reprit le duc, tu vas faire dessaouler ton garçon… Sa vie est entre tes mains ; tu n’as que deux minutes !
    La vieille dont le devantier 200 , par-dessus sa robe retroussée, n’était plus qu’un cataplasme d’argile se releva soudain. Ses lèvres violacées s’animèrent d’une sorte de prière, puis sa face hideuse et craquée fut brusquement galvanisée d’un frisson volontaire.
    Elle empoigna son fils, incapable d’autre chose que de hoqueter, et, avec la force d’un lutteur de foire, lui fit dévaler le talus glacé pour l’expédier au plus profond du fleuve. On le vit couler à pic, un gros bourbillon se produire à l’endroit de sa perte, sa mère se jeter sur son postérieur, glisser au bas du talus et fouiller frénétiquement l’eau bourbeuse à l’aide d’une gaffe.
    – Attrape, salopiot ! cria-t-elle entrée dans les flots jusqu’aux cuisses, attrape !
    Vendôme, qui avait soulevé son rideau, se pâmait de rire.
    Le garçon repêché fut tiré sur la berge, pailleté des glaçons qui se formaient à vue d’œil en galonnant les basques de sa souquenille, puis le carrosse hissé sur le bac à force de cris sauvages qui firent se cabrer les chevaux. La vieille, au passage, telle une femme de Huron, s’était arc-boutée contre la caisse, parvenant seule à dégager un essieu bloqué dans une ornière.
    Le courant était violent, charriant même quelques blocs de glace qui provenaient de débâcles lointaines.
    – Avez-vous vu l’eau, monsieur le duc, demanda le cocher inquiet en s’approchant de la portière, ne devrions-nous pas

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