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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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lieutenant-criminel, si nous ne découvrons rien vous la laisserez quitte.
    Personne n’avait bronché. L’homme au sarrau, que Carresse observait du coin de l’œil, allait rouvrir la bouche lorsqu’une mégère à l’allure hommasse, qui portait une robe noire retroussée et une coiffe pleine de mangeures, fendit la foule pour venir se camper, ventre en avant, dans l’espace resté vide devant les cavaliers. Sa face éclaboussée d’une tache de vin, qui lui couvrait toute une joue, se hérissait au pourtour des balèvres d’un peu de barbe folle et lui faisait assez exactement la figure de Carabosse.
    – Je vais bien voir, moi ! rugit cette gaillarde dont le gousset fin aurait pu faire chavirer un bœuf.
    Elle se rua sur la fillette, la déshabillant sur place, la triturant de ses doigts goutteux, s’acharnant sur elle enfin avec la frénésie qu’aurait pu mettre une paysanne cupide à vider un poulet sans en vouloir rien perdre.
    Victor, à qui le chevalier avait ordonné de demeurer en selle, parvint en se penchant, et à force de paroles tendrement chuchotées, à donner du courage à la frêle accusée.
    L’obstination de l’ogresse n’eut pas de résultat. Les spectateurs les plus convaincus du larcin, qui avaient d’abord suspendu leur souffle, commençaient à mollir. Certains s’éloignaient presque honteux et quelques poissardes, plus promptes à s’apitoyer, compatissaient ouvertement à l’innocence en s’apapelardissant.
    – Elle avait sans doute un complice ! grommela l’homme au sarrau d’une voix altérée par le dépit.
    Sa tentative n’eut pas de résultat. La vague de fureur était même à ce point retombée qu’on entendait maugréer contre les accusateurs. Deux dondons à museau plein de suie, après avoir posé leurs paniers d’osier, s’étaient précipitées pour rhabiller la petite victime qui, nue et raidie entre les jambes des chevaux, avait un long moment repu la foule du misérable spectacle de son corps rachitique. Elle se laissa faire sans impatience ni crainte, insensible aux chuchillements des bonnes femmes, trop affairées alors à farfouiller ses hardes pour remarquer la haine qui faisait pétiller son regard.
    Lorsqu’elle fut enfin tant bien que mal vêtue, le chevalier la hissa sur sa monture et, suivi de Victor, détala, plantant là, sans un mot de plus, badauds ahuris et accusateurs furieux.
     
    Ils chevauchèrent bon train jusqu’à Donzenac, petit bourg distant de deux lieues de Brive, blotti au pied d’une montée redoutée des voituriers. Là, dans un repli de la route, signalé seulement par le bouchon de paille 22 qui se balançait à une hampe, se trouvait un cabaret où la plupart des voyageurs, avant d’entreprendre l’escalade de la côte, avaient coutume de faire halte pour ramasser des forces et reposer leurs montures. Ils décidèrent de s’y arrêter pour dîner 23 car ils n’avaient rien d’autre au ventre depuis le matin que deux œufs frits, aspergés d’une giclée de vinaigre noir, qu’ils avaient fripés en hâte avant de quitter Martel. On était au plus gros d’un après-midi torride et la chaleur qui tombait sans merci leur avait desséché le gosier.
    Ils furent, dès l’entrée, voluptueusement saisis par la fraîcheur au relent salpêtré d’une salle longue et voûtée dans laquelle palpitaient des ombres indéfinissables. L’arrière-fond de cette nef, peuplée de colonnes droites dévorées par les ténèbres, avait quelque chose de ces hêtraies noires et profondes qui oppressent les voyageurs. C’était l’ancien cellier d’une domerie 24 abandonnée par ses moines après que Dieu, sans doute effrayé du genre de vie qu’on avait entrepris d’y mener, s’en fut échappé le premier. Tout naturellement, la régularité monastique dissoute, une gargote était venue se couler dans ces ruines encore imposantes et le culte de la dive bouteille, presque sans interlude, avait pris la place de celui de la Sainte-Trinité.
    Le patron les installa près de la porte, seul endroit à peu près éclairé que baignait une lumière glauque filtrée par le verre dépoli d’une fenestrelle.
    Victor s’était affalé, les membres rompus par deux jours de chevauchée, perclus d’un frayon 25 tenace qui lui cuisait les fesses. Pour détremper ses lèvres cornées par l’air sec, il fouetta coup sur coup trois gobelets de l’eau terreuse qui croupissait dans un pichet.
    Le chevalier, c’était bien là sa

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