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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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vanité, se donnait des allures d’être aussi fringant qu’au matin. Il affectait d’ignorer les brûlures du soleil et s’appliquait d’un geste badin à rajuster sa cravate de batiste. Observant la fillette aux prises avec un quignon durci, il fit réflexion que malgré ses mimiques joyeuses et ses rires, elle n’avait, depuis qu’elle les suivait, pas articulé un seul son.
    Une intuition terrible zébra son esprit.
    La flattant de grimaces aimables, il se rapprocha d’elle, puis tenta, dès qu’il la vit rire, d’écarter ses lèvres menues. Les petits yeux noirs d’anthracite, restés si crânement secs pendant toute l’affaire de Brive, crevèrent alors de larmes. Malgré le suprême effort qu’elle accomplit pour garder ses lèvres serrées, Maximilien put en venir à ses fins.
    Faufilant son index, il constata avec horreur que la langue de la malheureuse avait été sectionnée.
    – Coupé la langue ! répéta Victor, saisi d’un haut-le-cœur.
    – C’est le son de beaucoup d’enfants que traînent après eux les bohémiens, observa Carresse impavide.
    – Mais le motif d’une telle barbarie ?
    – L’appât du gain toujours… Ces malheureux sont volés en bas âge par des vagabonds qui complètent leurs rapines ordinaires par la mendicité. La mutilation n’est faite que pour mieux contraindre les âmes sensibles à s’apitoyer… En plein Paris, il n’y a pas cinquante ans, Vincent de Paul dut ainsi voler au secours d’un garçonnet auquel un méchant homme brisait les membres pour en faire ce triste commerce.
    – Quelle noirceur !
    Le chevalier, se carrant sur sa chaise dépaillée, prit ce ton de docteur qu’il affectionnait tant et qui, il faut l’avouer, s’accommodait assez du timbre mâle de sa voix.
    – Ah ! mon pauvre ami, s’exclamat-il, vous n’êtes pas au bout de vos surprises… Je voudrais simplement vous convaincre que cette violence, si rude aujourd’hui parce qu’elle nous touche de près, n’est qu’un entre mille des prodiges démoniaques que peut engendrer la malignité de quelques-uns de nos semblables…
    – J’entends bien, chevalier, protesta un peu rudement Victor, mais ces considérations ne peuvent servir de rien à cette heure pour adoucir le sort de cette fille…
    – Rassurez-vous ! je ne suis ni plus rêveur ni plus naïf que le commun des mortels. Ma seule faiblesse est d’avoir foi dans le siècle qui s’ouvre et de m’être persuadé que les hommes sortiront de leur état sauvage le jour où, par le développement de l’éducation, ils sauront mettre des bornes aux débordements des pouvoirs qui les régissent.
    Face à son compagnon, si déterminé à placer sa fougue au service de ses idées, Victor ne put se retenir de songer que la douce patience de son père, à force de s’user, en était venue, elle aussi, à se tourner en révolte. Son éloignement pour les passions brutales et l’horreur presque viscérale du désordre que lui avait inculquée son oncle de Tressan, s’écornèrent brusquement pour laisser fuser les paroles de sympathie qu’il ne pouvait plus contenir.
    – Je souhaite, moi aussi, que l’avenir soit tel que vous le rêvez, moins dur aux miséreux, plus fraternel et paisible pour tous… Satisfaites cependant un peu plus ma curiosité et dites-moi à quels moyens vous songez pour raffermir le bon droit dès lors qu’on aura pu se convaincre qu’un mal provient du dérèglement de la puissance.
    – On en vient à l’essentiel, nota le chevalier, je vous dirai d’abord que le pouvoir est partout, depuis celui du roi sur ses sujets, en descendant à celui des suzerains sur leurs vassaux, des juges sur les prévenus, jusqu’à celui encore plus absolu que les usages reconnaissent aux pères sur leurs familles… Imaginez un peu ce que tous ces rapports d’autorité peuvent couvrir d’occasions d’abus et vous aurez l’idée de l’immensité du combat dont je vous entretiens. Demain, la simple observation de notre société vous désignera presque infailliblement les mauvais maîtres, les mauvais gouverneurs, les mauvais maris, tous ceux enfin qui écrasent de leur force des êtres faibles que la nature a soumis à leur pouvoir… Quant aux moyens à employer pour les contrecarrer, ils sont sans limites et pour ainsi dire laissés à l’improvisation des âmes généreuses. Contre la violence politique, celle qu’exercent les mauvais rois ou les mauvais officiers, il est des méthodes

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