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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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plaira, conclut Saint-Simon en repassant ses gants de frangipane 214 , l’éveil 215 aura été donné.
    – Ce n’était point un avis ça ! c’était une charade, ironisa le cousin du roi en se levant le premier, en avez-vous souvent de ce tonneau ?… En ce cas, murmurez-m’en quelques fois à Versailles au passage. Cela nous ferait au moins là-bas une occasion de nous divertir.
    Ils restèrent un moment dent contre dent, s’entréblouissant du feu de leurs regards, puis Saint-Simon se recula, balayant de cinq ou six énergiques bonnetades, comme s’il désirait le purifier, l’espace qu’il mettait entre eux.
    Fendant de nouveau la presse qui n’avait fait que croître, il alla retrouver son cocher dans l’escalier enfumé par le ronflement de quelques braseros.
    – Je n’ai rien obtenu, glissa-t-il, dès qu’il fut dehors, à un personnage drapé d’un domino noir qui venait de surgir d’un ressaut de la colonnade, à vous d’agir maintenant !
    Cette ombre était celle du vidame qui dissimulait sa figure délicate derrière un col relevé ; Balthazar de Rognonasse, accouru dès avoir reçu le billet du chevalier de Thésut, se tenait près de lui. Sans perruque, avec des cheveux drus qui fusaient sur tout le tour de son chapeau à larges bords, il arborait une barbe noire taillée en pointe qui ne parvenait pas à vraiment allonger une figure massive.
    Il avait disséminé ses hommes dans la foule du Temple, gens de sac et de corde, qu’il avait pour la plupart sauvés du gibet ou de la dague d’autres gueux sans aveu. Tous étaient dans sa main, aveugles à lui obéir et à peu près rendus à l’état de soumission de ces soldats byzantins du temps des Croisades auxquels leur empereur, dans le seul but d’édifier ses visiteurs, ordonnait par caprice de se précipiter du haut d’un rempart. Ombres impalpables, ils étaient parvenus à fondre leur crapule dans celle de la suite du commandant en chef des armées d’Italie. C’étaient les mêmes trognes avinées, les mêmes guenilles couleur de boue, avec cette façon de se mouvoir comme en glissant qui distingue partout le gibier de potence du reste de la populace. Une telle parenté de gueuserie leur avait permis, sans éveiller aucun soupçon, d’infiltrer le moindre recoin du palais et d’en occuper le plus étroit passage.
     
    Les gens des équipages de Vendôme se trouvaient cantonnés dans une salle basse du vieux donjon crénelé dominant l’enclos du Temple. Ce ténébreux vestige de la forteresse des anciens chevaliers, le chef-d’œuvre du frère Hubert, l’un d’entre ces moines guerriers et bâtisseurs, était rendu ce soir-là effrayant par la découpe qu’en faisait la lune en projetant, sur fond de nuit grise, le profil hérissé de ses quatre tourelles en pointe.
    Le cocher favori du duc, celui qui avait participé à l’enlèvement de Victor, était perdu parmi les autres serviteurs dans le grouillement de cette cave enfoncée. Ses compagnons se défiaient de lui car il passait, à juste titre, pour être l’espion d’un maître dont la curiosité s’étendait à ce qui se débitait parmi ses derniers domestiques.
    Aussi notre homme, ignoré d’un cercle en verve qui buvait et jouait au piquet autour d’une chandelle, avait-il avisé un second cocher plus âgé qui fumait la pipe, penché sur une selle qu’il s’affairait à glairer. Cet autre serviteur vivait également à l’écart de ses compagnons mais c’était la surdité qui l’avait retranché du monde.
    – Alors, l’ami ! lui cria le favori du duc, que dis-tu de retourner faire la cour aux belles Milanaises ?
    – Je dis, moi, bougonna le vieux serviteur, que j’aimerais mieux rester ici. Les montagnes ont là-bas des pentes qui ne me reviennent pas, les gens des mœurs farouches… Mais ce qui me chagrine surtout, c’est la guerre que nous y faisons.
    – Personne ne te demande d’aimer ni de faire la guerre, répliqua le premier cocher, tu n’as qu’à t’occuper comme moi d’aller avec ton maître et de le conduire là où il te demande.
    – Mais le nôtre s’obstine à demeurer toujours où il se pose et ne consent à bouger que lorsque la mitraille étoile les vitres de son carrosse… À ce train, bernique ! je ne donnerai bientôt plus très cher de ma vieille carcasse…
    – Je prends le pari ! s’exclama un homme à la barbe inculte et grisonnante, vêtu d’une saie grossière, qui sortait de l’escalier en portant, sur

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