Le marquis des Éperviers
confesseur et son âme damnée, Vendôme fendit la presse qui suspendit ses clameurs et s’entrouvrit sous ses pas en marquant plus de déférence qu’au passage de l’ostensoir abrité sous le dais.
– Allons mes petits ! fit-il de sa voix flûtée, en allant se placer sans hésiter entre les deux combattants qui venaient de croiser plusieurs fois le fer sans se toucher, ne serait-il pas plus raisonnable de s’en remettre à mon arbitrage ?… Qu’on me dise un peu la raison de cette fâcherie !
Nul n’osa répondre, pas plus les deux gaillards qui s’étaient incontinent mis au garde-à-vous, qu’aucun des soudards dépenaillés, autour d’eux, qui se composaient des mines de balourds pris en faute.
Un Génois fut plus hardi. D’un accent chantonnant, il raconta l’objet de la querelle.
– Fichtre !… Et l’on me dérange pour cela ! s’exclama le maître de céans avant de saisir les deux coupables par l’oreille pour les conduire devant la tenture souillée… En ce cas faisons notre paix en pissant là de concert tous les trois !
Et devant l’assistance, qui ne se contenait plus de nouveau à forcer ses rires, Vendôme dénoua l’aiguillette de sa culotte et se mit à uriner à gros jet. Les deux furieux à ses côtés, que le début de leur altercation avait déjà passablement vidés, ne purent rien exprimer de plus.
Lorsqu’il eut achevé, le duc, tout en se relaçant, appela deux officiers de sa garde.
– Qu’on me jette pour le reste de la nuit ces pisse-rien dans un cachot ! ordonna-t-il, et que, pour les rendre plus coulants, on leur fasse auparavant ingurgiter chacun une pinte de décoction de queues de cerises.
Les deux bretteurs se retrouvèrent en un tournemain empoignés et couverts des quolibets de leurs compagnons ravis de cette conclusion en forme de farce.
Vendôme s’en retournait au lit, dans un grand dandinement satisfait de tout son être, lorsqu’il trouva Saint-Simon sur son passage.
– Eh, oui ! monsieur le duc, lui lança celui-ci en souriant modestement, on n’est jamais à l’abri des mauvaises rencontres lorsqu’on vit, comme vous faites, toutes portes ouvertes.
Le duc, coinçant son morceau de faisan au coin de sa bouche, frappa dans ses mains.
– Qu’on porte un fauteuil à monsieur de Saint-Simon ! commanda-t-il.
– Ah ! se lamenta le visiteur, moi qui désirais vous entretenir en particulier.
– Nous serons seuls ! trancha Vendôme, plein de superbe, les gens qui sont ici n’ont point d’oreilles et ceux qui ont l’ouïe fine sont payés pour ne rien répéter… Dites-moi plutôt, monsieur le duc, ce qui me vaut, à cette heure insolite, une visite que j’attends depuis bientôt dix ans ?
Priant son hôte de l’imiter, le commandant en chef des armées d’Italie, orgueilleux comme Satan, se cala dans l’un des deux fauteuils recouverts au point de Hongrie qu’on venait d’apporter.
– Je désirais aborder quelques sujets qui touchent à notre rang… hasarda Saint-Simon.
– Ah, non ! se récria Vendôme en partant d’un rire provocateur, dépêchez votre notaire au mien pour parler de ces fadaises mais nous n’allons tout de même pas nous abaisser à régler nous-mêmes, en pleine nuit, la longueur de nos manteaux.
– Notre dignité est essentielle, insista Saint-Simon, elle nous fait ce que nous sommes.
– Tout le monde sait qui nous sommes ! repartit courroucé le chef de la branche bâtarde, et les marquis de Carabas qui s’obsèdent de trop de vanité, sont ceux qui ne sauront jamais faire quelque chose de leurs dix doigts.
Saint-Simon pâlit comme s’il venait d’entendre une pierre siffler à son oreille. « Reste à savoir ce que la postérité retiendra de nos exploits ! » pensa-t-il en faisant battre ses genoux…
– Les ducs et pairs, enchaîna-t-il tout haut, ne gagneront pas à vouloir s’abaisser eux-mêmes. Ils sont un rempart derrière la monarchie… Supprimez-les, il ne resterait plus que la tyrannie !
– Car vous trouvez, vous, pesta le cousin du roi en s’épouffant, que tyrannique on ne l’est pas assez dans ce royaume !… Le poids des édits royaux et des instructions ministérielles n’est-il pas là pour prouver tous les jours que vos ducs ne servent plus à rien ?
– Permettez-moi de n’être pas de votre avis et de vous poser une question… Elle sera directe…
– Je vous en prie, répliqua le descendant de la belle Gabrielle en appuyant son invite d’un geste plein de
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