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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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s’ébahissait de ce caravansérail si parfaitement à son aise sous les festons dorés du théâtre courtisan.
    – Où se trouve le duc de Vendôme ? finit-il par demander à un muguet solitaire qui mâchillait un pilon de dinde avec suffisamment de façons pour qu’il l’ait distingué.
    – Où voulez-vous qu’il soit ? au lit, parbleu ! répondit le garçon en découvrant dans un sourire des dents bien plantées.
    La flemme du duc était proverbiale. Ne passait-il pas pour commander de sa couche, à la fois ses affaires, que l’aidait à pousser à grandes guides le financier Crozat, et ses troupes qu’il n’avait jamais vues, disait-on, qu’à la nuit tombée.
    – Voici bien ma chance ! pensa Saint-Simon, je vais être obligé de l’aller faire lever et il va être d’humeur exécrable.
    Il continua de se faufiler entre des groupes de colosses bottés qui s’interpellaient en confusion dans tous les jargons d’Europe. Roulé dans sa capote bleue, juché sur ses cothurnes à talonnettes rouges, sa passacaille 212 sur le ventre, il avait des allures de fouine qui glisse près de juchoirs où sommeillent d’imposants chapons.
    Dans un vaste salon garni de médaillons de stuc, il finit par se planter devant quelques Gascons en culotte et bras de chemise qui gardaient, en devisant très fort, la seule porte qui demeurât fermée.
    – Je suis le duc de Saint-Simon, fit-il en élevant la voix pour couvrir le tumulte, je veux voir votre maître.
    – Fusses-tu la princesse de Trébizonde ou celle de Palmyre, mordiou ! répliqua en partant d’un grand rire, l’escogriffe – un compatriote de d’Artagnan – qui tenait lieu de capitaine à cette poignée d’hommes, je ne t’ouvrirais pas. Ordre du duc… Nul ne doit, ce soir, troubler son repos.
    – Ah ! fit seulement l’envoyé de monsieur Davignon en découvrant dans un soupir que les honneurs rendus à son rang n’étaient pas universels.
    Le Gascon, à voir la mine effarouchée de son interpellateur, commençait de s’esclaffer lorsque, à l’opposé de ce salon dont le plafond d’un seul tenant représentait un fougueux triomphe de Junon, se produisit d’un coup un furieux vacarme.
    Une rixe venait d’éclater près d’une fenêtre : deux mercenaires pris de boisson se disputaient le galon d’une tenture pour le couvrir de pisse.
    – Encore ce Castelbajas ! se récria le gardien du sérail qui bouscula Saint-Simon pour se porter sur le lieu de l’esclandre.
    Castelbajas, coq au regard sombre, à la mine farouche, était un Aragonais que son maître avait sauvé de la corde en l’accueillant dans sa garde. On ne pouvait imaginer plus vif-argent sur les questions d’honneur, plus querelleur pour la moindre broutille, en un mot plus acharné duelliste. L’autre était Hartmann, un Danois froid au point de paraître sans âme, haut, large et terrible comme l’ancienne tour de Nesles.
    – Arrêtez !… Cessez immédiatement ! intima le capitaine en s’interposant entre les bretteurs.
    Ce fut en vain. Castelbajas, l’œil fixe, le sang allumé, écumait déjà. Il venait de jeter à terre son petit manteau gris, étirant dans la même ligne ses deux bras longilignes, brandissant de sa main droite une épée, de la gauche une dague. Hartmann, impressionnant de flegme, se préparait avec des gestes lents. Il replia d’abord avec un soin maniaque son justaucorps de grosse laine pour le confier à un Bavarois toujours tapi dans son ombre, lequel par la taille et la physionomie paraissait lui servir de doublure.
    Le capitaine, voyant qu’il ne pouvait plus rien faire pour éteindre la fureur des deux hommes, se rua vers l’appartement de son maître.
    Le duc, la porte ouverte à deux battants en conformité d’étiquette avec son rang, parut presque aussitôt. Coiffé d’un simple bonnet de batiste et ficelé ainsi qu’un gibier paré dans une robe de lampas 213 , il tenait à la main une aile de faisan dégouttante du jus qui venait de lui graisser le tour des lèvres. L’absence de perruque mettait en évidence deux joues flasques et un nez qu’on eût dit dévoré par la lèpre parce qu’il n’en restait qu’une moitié depuis que les chirurgiens, en lui faisant suer la vérole, l’avaient à deux reprises raté. On était surtout frappé de ses yeux calcinés par l’ivresse qui n’étaient jamais apparus à Saint-Simon plus vitreux ni plus malsains que ce soir-là.
    Suivi de l’abbé de Chaulieu, à la fois son

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