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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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hésiter et, depuis lors, tant par reconnaissance que par véritable esprit de pénitence, je me soumets en tout à ses rigueurs.
    – Quel est le motif du choix d’une aussi dure retraite ? insista Victor, n’existait-il pas des congrégations plus libérales au sein desquelles vous eussiez pu vous rendre utile en répandant vos lumières ?
    – La crainte de l’Enfer et de la damnation a arrêté un jour ma main criminelle. Le cynique qui a éprouvé cela une seule fois en frissonne le restant de sa vie !… J’avais trop à me faire pardonner et, pour être plus certain d’arracher mon salut, je suis allé sciemment vers cette congrégation entrée depuis longtemps en décadence : la discipline des corps, celle à laquelle je n’attache aucune importance, s’y trouve relâchée à l’extrême : celle des esprits en revanche demeure dans un brodequin ainsi qu’au Moyen Âge. On ose y nier de nos jours encore que la terre fasse le tour du soleil, on s’y refuse à croire que l’Amérique existe ailleurs que dans l’imagination de quelques imposteurs. Ces péchés contre l’intelligence sont ma punition distillée goutte à goutte comme l’acide qui rongerait une corde à laquelle tiendrait tout le poids de mon corps… Je les assume, immodestement persuadé, ce faisant, de pouvoir contempler les traces de mes crimes s’effaçant une à une.
    – Je n’ai jamais vu si belle foi que la vôtre ! s’exclama Victor en sautant au cou de son sauveur… Je repars d’ici plein de courage pour affronter les épreuves que Dieu n’inflige, comme vous le professez, qu’à ceux qui ne lui sont pas indifférents.
    – Voici qui me paye de toutes les angoisses que vous m’avez procurées ! répondit le moine en étreignant son patient.
    Il éleva son regard vers une fenestrelle au travers de laquelle se découvrait, sous la neige, la plaine de Créteil striée dans les lointains par la ramure noircie de quelques rangs d’arbuscules.
    – J’espère en tout cas que vous n’oublierez ni votre pauvre Carolus, ni le chemin de cette maison.
    – Je vous le jure, promit gravement le miraculé de Notre-Dame-des-Mesches.
     
    Jamais le bonheur de Stella n’avait paru si manifeste que lorsqu’elle vit reparaître Victor sur le seuil du boudoir où une chambrière lui apprenait à broder. Madame Davignon avait su mettre à profit les quatre semaines au cours desquelles l’enfant s’était trouvée privée de son dieu pour réussir à gagner sa confiance. À son tour elle en était devenue idolâtre, l’accoutumant à vivre tout le jour dans ses appartements, fourrée dans ses jupons ou blottie dans un recoin du salon où se tenait la compagnie ; la faisant enfin, telle une vraie petite dame, parer d’une robe retroussée de calemande beige et de souliers de tripe blanche. Ses femmes de chambre s’étaient elles aussi piquées au jeu, pendant leurs heures de récréation, de la prendre pour mascotte. Elles la peignaient, la brossaient, avaient ramené ses cheveux fous dans un ruban de velours. Elles avaient de la sorte découvert un minois plein de fossettes qui finissait d’en faire une poupée et des yeux noirs dans lesquels un pétillement espiègle était venu dissiper les effarements des temps de sauvagerie.
    Stella, laissant choir son ouvrage, quitta son tabouret, et Victor, qui ne songeait plus à la douleur de son dos, lâcha son bissac pour la recueillir dans ses bras.
    – Te voici demoiselle ! s’écria-t-il en caressant son front pour chercher les mèches folles qui n’y retombaient plus.
    Suivi du vidame qui était venu le chercher au prieuré, la fillette toujours accrochée à son cou, il tourbillonna au travers de l’enfilade des salons où une ribambelle de valets en tabliers s’affairaient aux préparatifs d’un gala.
    C’est à peu près un feu follet qui fit irruption dans l’antichambre de madame Davignon.
    – Victor ! exulta celle-ci en se précipitant, nous n’en finirons pas de rendre grâce au ciel…
    – Les semaines passées ne sont plus qu’un mauvais rêve, proclama le jeune homme en déposant une succession de baisers tièdes sur chaque doigt de sa tante, vous avez devant vous un Victor tout neuf, qui vous promet de ne plus jamais s’attrister et de ne se conduire désormais qu’avec la plus extrême prudence.
    – Qu’importe ! hoqueta-t-elle, de quelque façon que vous soyiez, je vous chérirai… Je serai votre grande sœur… Votre confidente si vous m’acceptez

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