Le marquis des Éperviers

n’ose pas lui parler en tête à tête.
    – Tenons bon ! répliqua Diane en couvrant de ses doigts effilés par le toucher du clavecin les poings fermés du garçon, tenons bon et nous viendrons à bout de leur fol entêtement !
     
    Le lendemain, dès six heures, Victor se retrouva au Palais-Royal, habité par l’heureuse sensation de clore une parenthèse qu’éprouvent tous les malades en reprenant des habitudes.
    Arrivé dans la cour du palais, il fut retenu de pénétrer dans le grand vestibule par un attroupement de gens que contenaient plusieurs cordons de chevau-légers aux manches nouées par de longs brassards de deuil. Des pages en mandilles noires, marchant entre deux files de chapelains en surplis à liséré violet, entouraient six mousquetaires qui allèrent déposer, sur un char tendu de draps mortuaires, le riche cercueil qu’ils venaient de descendre de l’étage.
    Le vieil abbé de Grancey, premier aumônier de l’ancien duc d’Orléans, auquel deux vicaires venaient d’ajuster aux épaules une lourde chasuble brodée d’une pluie de larmes d’argent, s’empara du goupillon qu’un vicaire lui présentait dans un seau de vermeil.
    – Voici de la vaisselle que ce coquin n’emportera pas en s’en allant ! lança tout haut un bourgeois qui avait trouvé à point ce divertissement sur le chemin qui le menait à sa boutique.
    – Et d’un petit goupillon dont il ne tâtera pas ! ajouta à la cantonade un laquais fort en gueule, soulignant son méchant trait, que l’assistance venait de saluer d’un franc éclat de rire, d’un geste parfaitement obscène.
    – Qui est-ce ? demanda Victor à sa voisine, une femme au casaquin proéminent qui n’avait cessé de crier qu’on dérangeait sa toilette en la pressant.
    – Le chevalier de Lorraine, l’ancien Céladon 229 de Monsieur qui n’aura survécu à son maître-valet que deux ans… Il m’est avis que le jeune prince, là-haut, ne doit pas trop regretter le départ de cette extravagante survivance des folies de son père.
    Notre héros, stupéfait par ce pétardement d’épitaphes gravées au fiel, entreprit de se faufiler comme il put sur les franges de la houle humaine que le froid de ce petit matin de janvier floquetait de brume. Tout en jouant des coudes, il s’essaya à ressaisir les traits du défunt qu’il se souvenait avoir croisé deux ou trois fois dans les couloirs du palais : vieux beau portant avantageusement ses soixante ans, toujours inscrit dans la gloire d’un cercle de gardes et de laquais, se soutenant en toutes occasions, comme s’il était partout le maître, avec un aplomb fulgurant et des airs de hauteur. Ne prévoyant pas encore que ce mort, auquel les commérages et le brouhaha l’avaient retenu de rendre l’hommage d’une prière, allait se retrouver en travers de sa route, il se hissa en quelques bonds jusqu’à la porte des Thésut.
    Il les retrouva tous deux, réfugiés dans l’embrasure d’une fenêtre, observant, avec des trémoussements de joie non dissimulés, le départ pour son caveau des Filles de l’Assomption de ce favori de leur ancien maître qu’ils avaient toujours rangé au nombre de leurs plus constants ennemis.
    – Eh, oui ! mon frère, raillait le chevalier, les meilleures choses ont une fin… Une plaisanterie de quarante ans qui n’aura pas été la plus fine ni la mieux saucée de cette cour…
    – Enfin une source d’épargne ! renchérit l’abbé, et une aubaine pour Son Altesse, bien magnanime jusqu’à présent d’avoir voulu répondre de toutes les dettes de son père.
    Se tournant vers Victor, il conclut :
    – Vous revenu ici en place de ce vaurien qui s’en va : c’est un jour à marquer de deux pierres blanches !
    Le nouveau venu sourit au compliment et gagna son bureau près duquel, inconfortablement coincé contre un pied pour avoir refusé pendant quatre semaines de s’installer à son aise, l’attendait le fidèle Ponceau. Le papier s’était entassé ponctuellement, furieusement même, mais le jeune secrétaire, en le truffant de papirolles annotées, avait veillé à le classer par matière et par urgence. On voyait des paquets partout : çà et là sur des tables et des consoles, en damiers impeccables sur la bordure de la grande savonnerie recouvrant tout coin du salon, enfin, dans l’embrasure des fenêtres, dont aucune n’aurait pu être ouverte sans se trouver au préalable dégagée.
    Le revenant, agité par l’industrie fébrile de