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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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incapable, un incapable. Alors que tout ce qui s’agite à Versailles, se claquemure dans le secret et s’empâte dans la louange, nous sommes fiers de notre parler libre de Parisiens. Les Anglais domineront bientôt le monde parce que c’est la toute-puissance de leur opinion publique qui tend à devenir le moteur de leurs actions… Nous ne sommes pas moins doués qu’eux mais, en nous attachant à des survivances gothiques, nous annihilons à peu près tout le fruit de nos efforts…
    Il cessa soudain de discourir en considérant la figure inchangée de Victor.
    – Ne vous effrayez pas de ce que je vous dis là, fit-il en riant, j’ai pour habitude de coudre les pièces de mes discours à mesure que je les coupe.
    – Je vous entends, Altesse, répliqua Victor, et, sans flagornerie cette fois, j’avoue vous entendre fort bien.
    – Assez discouru pour aujourd’hui !… Je dois vous laisser à l’œuvre car j’ai toujours la crainte en montant ici de ne pas mesurer exactement le poids des tâches qui écrasent messieurs de Thésut… Avec eux je trouve toujours trop à point et cette perfection ne fait que conforter ma paresse.
    – Sous un prince tel que vous, répliqua l’abbé en se dépliant de nouveau, il ne peut se trouver que de zélés serviteurs.
    Le duc esquissait le mouvement de faire demi-tour lorsqu’il remarqua le chevalier, à l’autre bout de la pièce, étendu sur son confessionnal à portée d’un petit poêle de faïence.
    – Toujours cette maudite goutte, chevalier ? s’enquit le neveu du roi en s’approchant.
    – Ou le fiel de quelqu’un de vos jésuites ! bougonna le vieillard dont le front blanchi disparaissait sous le guingois d’un antique bonnet.
    – Chevalier, supplia Orléans, je vous le demande à genoux, ne me grondez pas de nouveau pour mes jésuites. Vous m’en avez dit suffisamment là-dessus par le passé !… Vous savez que je suis tenu, comme tous les princes de ma maison, d’avoir plusieurs de ces gens-là chez moi… Vous savez tout autant que je n’en fais pas un usage exclusif…
    – Altesse ! répliqua le chevalier en se dressant sur ses jambes maigres, vous venez, il n’y a pas cinq minutes, de flétrir l’usage intempestif qu’on fait dans ce pays du secret et de la louange. Voici un beau programme ! mais, croyez-vous que, pour y venir, il n’y ait pas d’autre pédagogie à observer que celle des renégats qui vont chercher leurs ordres de l’autre côté des Alpes ?
    – N’ai-je pas pris mon confesseur à l’Oratoire ? lâcha béatement le prince.
    – Certes, certes, parce que mon frère et moi vous y avons contraint… Mais il est quelqu’un dans votre ombre qui fait le lit de la Compagnie comme s’il y avait adhéré sans le dire.
    – Vous voulez parler de Dubois, observa Orléans.
    – Si fait, Altesse, bourrasqua le chevalier, Dubois dont vous couvrez tous les caprices !… Dubois qui vous abuse !…
    – Je sais que vous ne l’avez jamais aimé, mais pour que vous vous mettiez dans cet état, il faut bien qu’il ait fait, cette fois, quelque chose de grave.
    – Assurément, Altesse, une action noire et pleine de crapule qu’on ne saurait souffrir du principal confident d’un grand prince.
    – Qu’est-ce donc ? hasarda Orléans prêt à tout entendre.
    – La liste de décembre pour les bénéfices de votre nomination, Altesse, elle est partie à Versailles revêtue de votre petit sceau sans que nous l’ayons apostillée ici.
    – Je me souviens en effet d’avoir signé quelque chose, bredouilla le duc avec un air d’embarras.
    – Et en signant, vous avez truffé vos abbayes de gens dévoués au pape !
    – On m’aura donc trompé ? murmura Orléans avec un accent de candeur parfaite.
    – Dubois vous a trompé ! rectifia l’aîné des Thésut en se hissant sur la pointe de ses bottes, ce scélérat vous escroque des reconnaissances à proportion des crapuleries qu’il commet.
    – Ah ! chevalier, soupira le neveu du roi, je sens que vous allez m’obliger à vider cette querelle sur l’heure.
    – J’y compte bien, Altesse !
    Et, soulignant la hardiesse de sa résolution d’un altier mouvement du menton, l’aîné des Thésut fit sauter la houppe de son bonnet qui oscilla entre ses yeux devenus deux fontaines de fiel.
    – Soit ! fit Orléans vaincu avant de dépêcher l’un des garçons bleus quérir le présumé coupable.
    Le chevalier, satisfait d’avoir marqué ce premier point, achevait de se camper à

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