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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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et, puisque j’ai cru comprendre que c’était pour cela qu’on vous payait, lorsque vous aurez retrouvé un peu de sérieux, songez à donner la chasse à vos abuseurs de talons-rouges 46 .
    – Grâce à Dieu ! répliqua Carresse, ma chasse est moins féroce que la vôtre… Sauf la colère de mes fallacieux gentilshommes, je n’ai rien tant à craindre que l’écroulement de leurs archives sur ma tête.
    Ayant ainsi parlé, il fit tourner trois fois dans l’air son tricorne en ratine avec un air jubilant qu’il assaisonna de grâces de mousquetaire de l’ancien siècle.
    Monsieur de Gargilesse, sans attendre la fin de la courtoisie, s’était remis en marche. Sa face rechignée se trouvait à ce moment traversée du premier sourire de cette matinée déjà peuplée pour lui d’heures longues et harassantes : la pensée que le chevalier pût, un jour prochain, gésir sous une pile de grimoires, venait de le remplir d’une joie d’enfant qui, jusqu’à son arrivée dans sa demeure, tempéra un peu la hargne que lui causaient ses déboires.
     
    Pendant que le bailli et le chevalier échangeaient sur la route de Bellac ces propos peu amènes, madame de Gargilesse, comme elle l’avait promis, s’en était allée conduire la jeune muette chez les Visitandines. Ces religieuses occupaient un hôtel de briques aux toits pourvus de grands versants d’ardoises, datant du temps de Louis XIII, qu’une demoiselle Penicaut, dernière héritière d’une branche de la famille des célèbres émailleurs, avait légué pour élever cent orphelins.
    Le concierge, dès qu’il eut reconnu qui se présentait, fit ouvrir grand la porte cochère par un gnome bossu qui, malgré un pied-bot, était doué d’une agilité de chat. Ce malheureux était accoutré d’une sorte de pet-en-l’air 47 qui lui pendait jusqu’aux genoux et se relevait à l’arrière pour découvrir sa culotte trouée. Il grimpa sur un ressort de la voiture comme elle roulait encore et colla sa tête monstrueuse à la portière. C’était chaque fois son plaisir de se jucher ainsi en contemplant les belles donatrices qu’émoustillait l’idée de lui faire les yeux doux.
    La mère Jeanne de Saint-Arthème, grande femme efflanquée à mine revêche, surgit sur le perron, traînant dans son sillage deux jeunes religieuses à figures d’anges. Leurs barberettes immaculées et leurs voiles patiemment godronnés tranchaient sur le désordre de l’habit des pensionnaires, uniformément vêtus de grisette, qui s’étaient mis à affluer de toutes parts car ils étaient tenus de paraître lorsque la cloche signalait la visite d’une bienfaitrice.
    Madame de Gargilesse finit par se montrer, nu-tête et sans fontanges, avec un chignon cuivré qui ressemblait au corno somptueux d’un doge de Venise. Sa robe à paniers de soie jaune et ses escarpins mordorés achevaient de la faire ruisseler de cet or à reflets rouges de mosaïque byzantine dont elle affectionnait le chatoiement brûlant.
    La supérieure, voyant descendre derrière elle la petite muette, n’avait pu réprimer un haut-le-corps.
    – Ma Mère, lui annonça d’un ton suave la baillive depuis le bas des marches, je vous mène cette pauvre enfant qu’un ami cher est parvenu à tirer d’un terrible danger.
    – Une bohémienne, madame, y songez-vous ?
    – Une bohémienne dont vous saurez faire une bonne chrétienne, rectifia madame de Gargilesse, prenez garde ! elle ne peut parler mais elle entend ce que vous dites.
    – Un pruneau parmi tous ces enfants !… insista la religieuse.
    – Une enfant parmi d’autres, répliqua sèchement Anaïs… Je suis, je vous l’avoue, assez surprise de vous voir élever tant d’obstacles à la vraie charité.
    La mère de Saint-Arthème parut sentir l’inconvenance qu’il y aurait à poursuivre sur ce ton.
    – Votre protégée sera bien ici ! dit-elle en relevant le nez et en cherchant ses lèvres inexistantes pour les mordre.
    Et se tournant vers la plus jeune des filles qui la suivaient :
    – Sœur Charlotte, accueillez cette enfant !
    Celle à qui s’adressait cet ordre donné dans un râle de crucifiée, avança d’un pas. C’était une beauté sous le voile, avec un visage plein et doré, digne de la sérénité radieuse des vierges du Perugin. Elle vint s’accroupir devant la nouvelle pensionnaire qui, effrayée de se voir lorgnée par dix rangs de petits chrétiens à la peau de lait, détourna aussitôt la tête et revint se

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