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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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le ton pompeux pour celui de la demi-confidence et collant ses lèvres à l’oreille de son plus jeune hôte, il poursuivit à mi-voix :
    – C’est égal ! il est des reniements qui doivent paraître bien cruels à ceux qui y sont contraints.
    Sur cet a parte auquel il avait su donner l’allure d’une pirouette, il reprit sa pose martiale et fit à nouveau résonner ses paroles avec l’éclat du bugle.
    – Jeune homme ! rien ne pouvait me flatter davantage, au crépuscule d’une vie obscure, que donner asile au fils de mes plus glorieux compagnons d’armes.
    Ces augustes paroles conclues une fois de plus par force bonnetades et génuflexions, il désigna l’escalier dont on voyait l’amorce tressaillir sous l’incertaine lumière d’un flambeau.
    – Ne restons pas dans cette cave, dit-il, nous y prendrions la mort. Suivez-moi !… Je vais vous faire les honneurs de ma demeure et, d’abord, montrer à monsieur de Carresse où se trouve mon chartrier 52 .
    Il passa le premier, tanguant de droite et de gauche, grimpant à cloche-pied trois marches pour en redégringoler deux aussitôt.
    – Combien de temps pensez-vous demeurer parmi nous, chevalier ? demanda-t-il déjà hors d’haleine.
    – Deux jours devraient suffire, indiqua Maximilien.
    – Deux jours, c’est peu ! c’est toujours trop peu, pour nous qui ne sommes secourus d’aucune distraction.
    Le chevalier, de plus en plus ébahi, adressa un clin d’œil à Victor qui venait de se ranger pour lui céder la politesse d’un passage étroit. C’était un sombre corridor garni d’une tapisserie du genre mille-fleurs aux bords effrangés par les rats, qui, par une porte qu’on ne pouvait franchir qu’en se courbant, donnait dans un cabinet rond dont tout le mobilier se composait d’une table chargée de ferrures et de deux fauteuils à crémaillères. Les murs de cette rotonde, qui occupait tout l’étage d’une tour, disparaissaient derrière des rayonnages sur lesquels de grands registres à dos de cuir alternaient avec des layettes 53 lardées de rubans sales.
    – L’endroit est plaisant, nota malicieusement Carresse en prenant place à son poste de travail.
    Il fit glisser un tiroir qui, lorsqu’il s’ouvrit, déchira un faisceau de toiles d’araignées.
    – Comme vous pouvez le constater, observa le vieux baron, personne n’entre jamais ici. J’ai une femme à la nature cendreuse 54 qui ne connaît pas les lettres de l’alphabet et deux filles qui, de leur vie, n’ont lu autre chose que l’Évangile. Grâce à Dieu, elles ont des vertus plus indispensables à leur sexe !… Quant à moi, fureter cette paperasse qui retrace les nobles actions de mes ancêtres ne fait que me donner la mesure de ma médiocrité. J’évite cet endroit comme l’homme contrefait fuit le miroir ou l’eau paisible qui pourrait lui renvoyer son image.
    – Voici qui est singulier, nota Carresse, la plupart des gens nés ne s’embarrassent guère de vos scrupules : ils considèrent couramment qu’il suffit de venir au jour pour hériter la vertu de ses aïeux.
    – Chevalier, marmonna le vieil homme dont le front s’était tout d’un coup fripé, vous allez vite constater que nous sommes de curieuses gens… Les heurts de l’existence nous ont assauvagis et nous ne conservons même plus l’apparence de cette gentilhommerie qui a fini par glisser dans un repli secret de notre âme.
    – Vous ne voyez donc jamais de parents ? s’enquit Maximilien d’un ton d’intérêt marqué.
    – Je n’ai pas d’autre famille que ma femme et mes filles.
    – Vous avez bien quelque ami, cependant.
    – Pas d’autres ici que Jacquin et sa femme Margot, qui nous servent ; nul à l’extérieur, hormis les laboureurs qui travaillent nos terres.
    – Vous n’allez donc jamais aux assemblées de la noblesse ?
    – L’idée ne m’en est jamais venue… J’y ferais sans doute un bien distrayant personnage, ironisa le baron en remettant à son hôte la clef du petit cabinet.
    Lorsqu’ils eurent retrouvé le vestibule il leur fallut monter encore un étage pour gagner la salle commune où les châtelains étaient accoutumés à passer le gros de leur temps. C’était l’inconvénient de cette construction, lancée tel un phare par-dessus les collines, que ces perpétuels passages par l’escalier et, sans doute aussi, la cause du sautillement du baron à la vivacité funambulesque si peu accordée au physique.
    La pièce que découvrirent les visiteurs

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