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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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pied sur le bord maçonné du précipice.
    – À quoi songez-vous ? s’impatienta-t-elle, une jambe restée ballante dans le vide, nous voici bien forcés d’obéir. Ne mesurez-vous pas la détermination de ces gens ? Et puis, vous l’avez entendu, le chevalier lui-même convient qu’il n’y a pas d’autre issue.
    – Exigez au moins que ce monsieur des Éperviers engage devant nous sa parole de ne vous point maltraiter !
    Elle parut hésiter, comme si la défiance de son compagnon envers un homme qui se parait du titre de marquis lui paraissait incongrue.
    S’adressant enfin au seul des rebelles qui eût parlé jusque-là et le clouant du regard avec l’aplomb de la cantatrice qui ne quitte pas du regard son public pour faire passer une note forcée, elle se prit à scander :
    – Oui, que ce marquis monte dire ici ce qu’il entend faire d’une pauvre infortunée !
    L’homme parut éberlué. Il ne voyait pas bien ce qu’une femme, ravalée au triste état qui était alors celui d’Anaïs de Gargilesse, pouvait avoir encore le front d’exiger. Il s’exécuta malgré tout, convaincu qu’il devait s’agir d’un usage du monde, autrement dit d’une de ces idées parfois plus essentielles aux grands que la vie mais dont lui ne saisirait jamais le sens.
    Quelques minutes s’écoulèrent qui laissèrent aux torches le temps de s’anneler de braise. Un nouveau fracas se fit bientôt en bas de la tour, trépignement de sabots et de bâtons ferrés qui s’enfila jusqu’à produire le martèlement de la forge. Monsieur de Rignac, que les crampes paraissaient avoir crucifié à son perchoir, tourna une figure défaite vers l’abîme qui vomissait ce recrû de tumulte. Il discerna d’abord une lueur claire et rampante courant sur les murs bosselés avec les rebonds du feu follet. Une trentaine de paysans, marchant sur deux rangs, parurent. Ils encadraient un personnage vêtu en noir de pied en cap… C’était le marquis des Éperviers. Un manteau long, découvrant les éperons d’argent attachés à ses bottes, l’enveloppait tout entier. Un chapeau à larges bords, du même ton sombre, dissimulait son regard et ce n’est que lorsqu’il releva la tête qu’on put se rendre compte qu’il se protégeait également la figure d’un masque de tissu blanc qui lui faisait la mine de Pierrot. Ses mains gantées de carrefin s’ornaient à son majeur droit d’un anneau serti d’un cabochon digne, par sa taille et son éclat, de celui d’un archevêque.
    Il vint se planter au droit de la Chambre du Trésor.
    – Vous vouliez me parler ? fit-il d’un accent caverneux mais noble.
    La baillive, troublée par la prestance de celui qui l’apostrophait, fut aussitôt tout à la pensée qu’on devait pouvoir sans remords se laisser ravir par un cavalier aussi fringant. En un clin d’œil, elle avait trouvé à l’apparition tout ce dont elle raffolait : tournure agréable, sveltesse d’elfe et, par-dessus tout, des manières du grand monde et des grâces de mousquetaire qui lui rappelaient ce temps qu’elle chérissait du règne de Louis XIII. Ce qu’elle apercevait autour de cette personnification de ses rêves, ce cliquetis fantasmagorique d’armes et de fourches sur fond d’une cascade de braise, comblait et au-delà son goût du romanesque. Elle s’alanguissait déjà, prête à choir dans les bras du marquis, lorsque, surprenant l’expression de Victor, elle sut se reprendre à temps et parler comme devait le faire la femme d’un des principaux personnages de la province, tombée entre des mains ennemies.
    Elle entama, mais à mi-voix, la complainte de la dignité bafouée :
    – Monsieur, j’aimerais tout de même savoir de quel droit vous prétendez me contraindre ?
    – Je n’ai, c’est vrai, madame, rétorqua le marquis, aucun autre droit sur vous que celui des nécessités de la guerre… Vous êtes ma prisonnière mais vous avez ma parole de gentilhomme d’être bien traitée.
    – Qu’avez-vous fait du chevalier de Carresse ? demanda-t-elle avec un peu plus de déchirement dans le ton.
    – Il est en bas… Il s’est battu comme un lion pour vous défendre mais nous étions plus nombreux et plus forts… Triste nécessité, là encore, j’ai dû lui passer mon épée au travers de la cuisse. Rassurez-vous ! Il se remettra vite de sa blessure et vous pourrez vous en convaincre en allant lui faire vous-même vos adieux.
    Ces phrases dites d’un ton galant et ponctuées de

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