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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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gestes nobles, mirent le comble à la confiance de l’impulsive Anaïs.
    Après avoir lancé à Victor une dernière œillade qui signifiait : « Ne vous avais-je pas dit que c’était un gentilhomme ? » elle s’approcha du reste de ses compagnons d’infortune avec l’expression de vrai bonheur qu’ont les filles appelées par Dieu lorsqu’elles partent s’enfermer dans un couvent. Elle les embrassa tous, madame de Rignac revenue à elle, ses deux filles qui la soutenaient encore, Victor, enfin, qu’elle fit frissonner en couvrant chacune de ses joues d’un baiser sonore. Ensuite, veillant toujours à ne point se départir de cette grâce nonchalante dont elle avait empreint jusque-là la moindre de ses attitudes, elle enjamba prestement l’échelle et se laissa, pour finir, guider par le marquis qui avait gravi quelques barreaux pour lui prendre la main.
    L’escalier était alors plein de vapeur, tapissé sur ses murs au crépi granuleux de chatoiements ambrés. Une chaleur acide s’était même attaquée aux regards pour escorter de larmes les adieux pleins d’élégance qu’Anaïs faisait à sa liberté. À la fin, lorsqu’elle glissa entre les torches, dans un crissement de soieries, élevant sa main pour la prêter au marquis ce fut comme l’apothéose d’une fête aux flambeaux.
    Quelques hommes demeurés en dernier détalèrent sur un coup de sifflet et Victor, dès que le silence eut tout entier peuplé les ténèbres, entreprit d’aider les femmes restées sous sa garde à rejoindre monsieur de Rignac. Ce dernier, haletant, la tête pleine de fièvre et les membres glacés, venait de s’affaler sur les marches. S’accrochant alors les uns aux autres, qui par la manche, qui par un pan de chemise, ils gagnèrent l’étage inférieur où la lueur déclinante d’un flambeau leur laissa entr’apercevoir un saccage de meubles renversés et de débris fumants. Ce n’est qu’après avoir ravivé une chandelle de résine et l’avoir promenée en tous sens, qu’ils découvrirent le chevalier raidi sur un fauteuil au milieu de ce culbutis. Comme l’avait annoncé le marquis, il était blessé à la cuisse et le coup sur le crâne qui l’avait ensuite estourbi avait fait jaillir du sang jusque sur sa chemise.
    – Ah, mes amis ! soupira le blessé en s’efforçant de paraître plaisant, quelle triste conclusion à une soirée qui s’annonçait si gaie !
    Il éprouvait de la difficulté à desserrer les dents et grimaçait dès qu’il tentait le moindre mouvement.
    – Ne bougez pas ! commanda Victor en se précipitant vers lui.
    Carresse allait plaisanter sur l’inutilité de toutes ces alarmes lorsque son justaucorps, en glissant sur ses genoux, découvrit sa culotte blanche maculée d’une longue traînée sombre. Madame de Rignac, à qui la vue du désordre de sa maison venait de rendre la plénitude de ses sens, ramassa les tronçons de l’oribus 62 encore tiède qu’elle se mit à pétrir pour faire trois ou quatre grosses bougies. Ayant ainsi donné une lumière plus douce, elle tira d’un placard une petite fiole d’eau de la Reine de Hongrie, puis, revenue près de son hôte, s’étant mise à genoux, elle aspergea l’estafilade qui entamait la cuisse sur presque un demi-pouce. Sous l’effet de l’esprit-de-vin que contenait pour l’essentiel ce remède universel à la senteur de romarin, le chevalier, éprouvant l’insupportable sensation qu’un acide le rongeait jusqu’à l’os, fixa longtemps, la tête rejetée en arrière, la danse folle des poutres et des corniches.
    – Ce ne sera rien ! conclut la baronne après avoir approché un peu de lumière pour inspecter son ouvrage, mais cristi ! cette lame vous a drôlement frisé… Un doigt plus à gauche, elle sectionnait l’artère et vous n’en reveniez pas !
    À ces mots, Maximilien, frappé d’un effroi rétrospectif, manqua défaillir pour de bon. Il sut cependant se reprendre et rendre à sa bienfaitrice la grâce d’un sourire.
    – Pauvre madame de Gargilesse ! se lamentait à trois pas de là le maître de céans qui venait de réunir les bouts épars d’un pot auquel il tenait.
    – Il ne nous reste plus qu’à faire confiance à ce marquis, lui répliqua imprévisiblement le chevalier.
    – De quoi ! se récria madame de Rignac, déraisonnez-vous pour avoir foi dans la parole de ce forban ?
    L’étonnement de la maîtresse de Rignac avait été exprimé avec suffisamment de force pour que

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