Le marquis des Éperviers
Maximilien fît l’effort de se bien caler sur son fauteuil pour lui répondre :
– Cet homme vaut plus que le vil personnage que vous vous figurez. C’est lui qui, après m’avoir loyalement blessé, m’a tiré à demi évanoui là où je suis.
– Jolies manières pour envelopper des actions de crapule ! reprit madame de Rignac toujours aussi remontée.
– Examinez les choses avec moi, reprit le chevalier, cet homme a contre lui un ennemi implacable, monsieur de Gargilesse, pourvu de moyens considérables et qui le traque sans merci depuis bientôt un an. En s’assurant de l’épouse de celui-ci, il ne cherche qu’à obtenir le répit dont il a besoin pour rafraîchir ses troupes…
– Ce ne sont pas là des principes de chrétien ! s’obstina madame de Rignac.
– Oh ! les principes…
La protestation de Maximilien et le petit geste mi-sarcastique mi-lassé dont elle s’accompagnait, furent suspendus net par l’irruption de Jacquin qui venait de surgir à peu près dans l’état du morisque échappé d’un bûcher de l’Inquisition. Il montrait des cheveux gris floquetés de flammèches et un visage estafilé de larges traits de suie.
– Où étiez-vous, Margot et toi ? demanda monsieur de Rignac qui s’était avancé pour prendre son fidèle serviteur dans ses bras.
– À la cave, en sûreté… Je n’ai rien pu empêcher, hélas ! Ces diables d’hommes ont vidé notre poulailler, laissé s’enfuir nos vaches, volé nos chevaux, nos cochons, emporté vos archives pour les brûler dans la cour…
Le vieux baron, qui venait d’entendre le dénombrement de ses déboires avec philosophie, s’employa à calmer le gémissement de ses proches.
– Cessez de vous tourmenter ainsi ! marmonna-t-il, je suis sûr que nous nous en tirons à bon compte.
– À bon compte ! s’offusqua le domestique aveuglé par l’état lamentable des choses alentour, mais, monsieur, je vous dis, moi, que nous ne nous remettrons jamais de ce pillage.
Et sans prendre le temps de souffler, arpentant la salle, il entreprit un pathétique inventaire des objets brisés et de ceux qu’il ne retrouvait pas à leur place.
Monsieur de Rignac, par un mouvement continu du chef, suivait assez exactement l’énumération de Jacquin. Il contemplait sans s’y arrêter les aiguières cabossées, les fragments épars de gobelets et d’écuelles, les aliments répandus en flaques poisseuses et les fleurs qui, piétinées et noyées dans les sauces, parvenaient malgré tout à conférer un petit air de fête au désastre. Hérissé à la fin par ce flux de plaintes et par le sanglot mal contenu des femmes, il s’emporta.
– Il suffit ! la vie que Dieu a bien voulu nous conserver vaut plus que tous ces brimborions… Si vous aviez vu ces gens venir en grand nombre, puissamment armés et farouches, vous vous persuaderiez comme moi que c’est miracle si nous respirons encore.
– Vous prenez les choses de belle façon ! lança encore le vieux domestique en sortant. Je vous répète que nous devrons mendier demain pour pouvoir subsister.
– Çamon ! enchaîna vivement madame de Rignac. Vous raisonnez comme un niais personnage. On enlève chez vous quelqu’un à qui vous donniez l’hospitalité, on brise votre maigre bien et voilà tout l’effet que cela vous fait !… Vous n’êtes qu’un vieux fou et monsieur de Carresse est bien naïf !
Victor, resté seul en compagnie de son hôte et de Maximilien les surprit imprévisiblement à partir d’un énorme éclat de rire après que la maîtresse de Rignac eut quitté les lieux suivie de ses deux filles.
Le chevalier, que la mine défaite de son jeune compagnon venait de rappeler au sérieux, se reprit pour ajouter d’une voix que la douleur affaiblissait :
– Grâce au ciel, baron, ces malheurs n’auront pas été inutiles. J’ai prêté serment au roi… j’ai examiné vos archives avant qu’elles ne brûlent. Je puis à présent répondre de votre noblesse.
Notes
49 . Déformation du nom d’un chapeau mis en honneur sous Louis XIII par le duc de Buckingham.
50 . Ample culotte des hommes dans les années 1660.
51 . L’employé de la poste qui allait porter les plis dans les lieux isolés.
52 . Lieu où l’on range les chartes.
53 . Petites caisses de bois.
54 . Casanière.
55 . Liqueur de coings.
56 . Aventure.
57 . Poursuivie par la malchance.
58 . Amateur de duels.
59 . Petit poignard que l’on portait de l’autre côté de l’épée
Weitere Kostenlose Bücher