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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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croissant que l’attente dans ce tombeau qui commençait à s’emplir de fumée. Brusquement se fit un grand fracas, suivi de cris, puis, plus rude encore, de coups assénés à la première des portes. Madame de Rignac ne put réprimer un soupir d’agonisante avant de couler inerte entre les bras d’Anaïs.
    On entendit bientôt percer une plainte :
    – Ouvrez ! répétait une voix qu’ils ne reconnurent pas, je suis monsieur de Rignac.
    Ce murmure, qui paraissait lever de dessous la pierre d’un sépulcre, laissait pressentir le pire.
    Victor, brusquement tiré de sa félicité, parut d’abord désemparé. Ce n’est que lorsque madame de Gargilesse, abaissant les yeux, lui eut signifié d’ouvrir qu’il avala pour soutenir son courage une pleine gorgée d’air âcre et qu’il se remit sur ses jambes.
    Monsieur de Rignac parut d’un coup. Il était arc-bouté à son échelle, sur fond d’un grand incendie pailleté d’escarbilles qui volaient en dessinant dans son dos une sorte de gloire. On ne voyait que sa face noircie couronnée de ses rares cheveux dressés. C’était une vision qui dépassait tout ce que les reclus avaient pu imaginer de plus rude et mesdemoiselles de Rignac, découvrant le lamentable état de leur père, jetèrent ensemble un cri strident avant de s’écrouler sur la poitrine inerte de leur mère. Seul Victor trouva assez de courage pour venir morguer cette Apocalypse et constater que la fumée qui emplissait tout l’escalier provenait des flambeaux brandis par quelques hommes parmi la vingtaine qui s’était massée sur les marches.
    – Ne craignez rien ! murmura, en portant à ses lèvres ses doigts tout écorchés, le baron qui paraissait se sauver d’un naufrage, le chevalier n’est que blessé, je suis sauf…
    – Mon Dieu ! s’exclama la baillive en s’avançant, le chevalier… Que lui est-il arrivé ?
    – Il est en bas, assommé, reprit monsieur de Rignac, je ne pense pas que sa blessure soit grave.
    – Que veulent ces gens ? demanda Victor.
    – Ce sont des paysans venus piller le château.
    Et baissant les yeux, il ajouta :
    – Ils veulent aussi emmener madame de Gargilesse en otage.
    – Il n’en est pas question ! se récria le fils du comte de Gironde en levant son épée nue, dites-leur qu’elle ne les suivra qu’ils ne m’aient d’abord tué.
    Sa voix avait roulé sous la voûte, grosse et terrible, sans parvenir pourtant à faire dresser un seul visage. L’impassibilité de ces hommes, leur nombre et leur mutisme, concouraient à les rendre effrayants.
    – Mais que faire d’autre ? pleurnicha le vieux baron, ils sont cent et nous sommes deux… Le chevalier lui-même vient de donner l’ordre d’obtempérer.
    Madame de Gargilesse venait de tout entendre sans paraître se troubler. Conservant un port de reine, elle éprouva le picotement acide des fumées puis battit plusieurs fois des cils pour percer la lueur opaque des flambeaux.
    – Qui me demande ? s’enquit-elle enfin avec hauteur.
    – Notre chef ! lui répondit l’un de ceux qui se tenaient en haut de l’escalier.
    C’était un paysan qui, pour parler, par un mouvement instinctif de respect, avait ôté son chapeau de paille afin de le plaquer sur son bedon. Ses voisins, agis par le même sentiment, se découvrirent après lui en cascade pour honorer cette fée qui, dans les hauteurs de sa niche, évoquait assez justement une apparition de la Madone.
    La baillive considéra longtemps les envahisseurs et, à ne croiser chez aucun l’acier froid d’un regard assassin, elle sentit peu à peu s’exhaler sa peur.
    – Qui est votre chef ? demanda-t-elle d’un ton qui renfourchait progressivement la langueur de ses intonations de précieuse.
    – Le marquis des Éperviers ! répondit le même homme, il promet qu’il ne vous sera fait aucun mal.
    Tirant son châle sur ses épaules nues, dans un geste de coquetterie retrouvée, elle se tourna vers son jeune gardien :
    – Leur chef est marquis… Dans la passe où nous sommes, je ne puis faire autrement que me fier à la parole d’un gentilhomme.
    Victor, d’abord interdit de la brusquerie du caprice, n’eut que le temps de ressaisir Anaïs par un bras, alors qu’époussetant le crâne de monsieur de Rignac des falbalas de sa robe, elle s’était déjà plantée sur le plus haut barreau de l’échelle.
    – Madame, n’y allez pas ! commandat-il avec une hardiesse dans le ton qui fit incontinent repasser à l’impétueuse un

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