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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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un vrai grenadier avec le visage d’un ange.
    – Ah ! enfin ici… enfin ici, hoquetait-il en continuant de la presser avec une vivacité d’amant.
    – Je sais vos tourments, reprit-elle, je pleure chaque jour en relisant la lettre par laquelle le sénéchal de Rouergue nous demande de vous accueillir… Je plains surtout votre père, cet homme bon et généreux, d’avoir été réduit au sacrifice de devoir se séparer de vous.
    Victor, fermant les yeux pour contenir ses larmes, huma avec ravissement ces tempes imprégnées d’une senteur de jasmin musqué, ces cheveux lisses et souples qui se tordaient comme les filigranes d’or d’un riche reliquaire. Cet instant où il pouvait enfin se blottir contre quelqu’un qui connût sa peine, rouvrait la déchirure par où saignait son cœur depuis la seconde terrible où son père l’avait poussé hors de Gironde. C’était, comme il le découvrait à cet instant, pour verser sur ses plaies le baume, bien doux à l’affliction, des parentés retrouvées.
    Lorsque madame Davignon, tout à l’ébahissement de voir surgir son hôte, avait cessé de dicter, le jeune homme qui se tenait près d’elle avait gardé quelques secondes la main suspendue au-dessus de la feuille qu’il venait à demi de noircir. Une fois sa plume tachée de bleu posée dans la rainure d’un encrier d’argent, il s’était calé dans son fauteuil pour contempler avec un sensible intérêt les embrassades dont s’étouffaient ses deux voisins.
    Madame Davignon réussit la première à s’arracher à ces effusions. Galante, elle prit sur elle l’excès de sentimentalité qui contrarie les hommes.
    – Je perds la tête en vous accaparant de la sorte, murmura-t-elle, et je manque à vous présenter l’Achate 75 de cette maison, le fidèle d’entre les fidèles, mon filleul, Jean-Hercule de Mériadec, qu’ici vous entendrez presque toujours appeler vidame 76 . Vidame, il l’est en effet d’un évêché qu’il n’a fait qu’entrevoir et dont le nom paraît tiré d’une fable, celui de Saint-Papoul.
    Elle se tourna vers celui qu’elle venait de nommer qui, tandis qu’elle parlait, n’avait cessé de montrer un visage radieux.
    – Cher Hercule ! enchaîna-t-elle, voici Victor de Felzins, l’aîné des trois enfants qu’a laissés ma sœur en mourant.
    – Serviteur, monsieur… bredouilla Victor.
    Il s’inclina beaucoup plus bas que ne le prescrivait l’usage mais le vidame, d’un geste plein d’aisance, le ressaisit par les épaules.
    – Je tiens à l’être plus que vous, protestat-il… Recueilli dans cette maison, quoique l’absence de lien de parenté ne me donnât aucun titre à cette mansuétude, j’y ai été traité mieux qu’un fils. C’est donc l’intrus qui prie le véritable parent de tolérer sa présence et de ne le point chasser.
    Victor, ébloui du compliment, se sentit brusquement incapable de trousser aussi coulamment sa réponse.
    – C’est moi qu’il faut accepter, bégaya-t-il rougissant jusqu’au blanc des yeux, je viens troubler vos habitudes.
    Madame Davignon, appliquant un doigt sur les lèvres de Jean-Hercule, l’empêcha de poursuivre.
    – Taisez-vous, jeunes fous, qui ne devriez songer qu’à faire la joie de cette maison d’où s’enfuit la jeunesse !
    Détournant la tête, elle découvrit Stella qui gambillait sur une chaise dorée :
    – Mais quel est ce bout de chou que vous nous menez là ?
    – Une pauvre enfant que j’ai recueillie sur ma route et pour laquelle je vous demande quelques jours de grâce, dit Victor, elle est muette, elle couche au pied de mon lit… Vous ne soupçonnerez même pas sa présence.
    – Bon cœur ! souffla la conseillère en découvrant la fougue qu’apportait son neveu à plaider la cause de sa protégée.
    Elle offrit un bras à chacun des jeunes gens et leur fit traverser une vaste pièce plongée dans une pénombre que découpaient à grands traits des rais de jour filtrant par les volets intérieurs fermés. Ces faisceaux de lumière concentrée découvraient un large bureau plat encombré de liasses et, tout du long des murs, derrière des portes grillées, des registres et des cartons marqués de chiffres dorés.
    – Cette ambiance studieuse, annonça madame Davignon, c’est le domaine de votre oncle. Vous ferez sa connaissance demain. Comme chaque lundi, il couche cette nuit à Versailles pour assister à l’aube au Conseil des Parties qui se tient au château en présence du

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