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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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chancelier.
    Elle effleura un pan de la bibliothèque qui pivota pour découvrir un lumineux boudoir ovale où, dans des trumeaux peints, sur fond de ruines antiques, figuraient en camaïeu toute une suite de scènes champêtres. Quatre portes vitrées, pourvues de serrures magnifiquement ciselées, s’échappaient depuis là vers d’arrière-cabinets ; une cinquième, qu’ils poussèrent, donnait sur un minuscule escalier rond à rampe de noyer et montants de fonte noire.
    – Je vais vous montrer votre logement, reprit madame Davignon, en s’esquivant pour passer la dernière… Il fait face à celui du vidame. C’est un endroit retiré, en haut de la maison, qu’en d’autres temps on destinait aux enfants… Les parents d’il y a soixante ans devaient être sourds, ou suffisamment bruyants eux-mêmes, pour s’accommoder de la sorte du vacarme de leur progéniture par-dessus leurs têtes.
    L’appartement réservé à Victor formait une suite de trois pièces carrées, basses de plafond mais bien proportionnées, avec dans chacune une cheminée sculptée en marbre rose des Pyrénées. Le mobilier, d’un style déjà rocaille, était à la canne dans le salon, tendu de gros de Tours 77 dans le boudoir ; les murs de la chambre s’ornaient d’un damas double corps grenat auquel répondait un ciel de lit au lambrequin d’écarlate empanaché de quatre plumets blancs.
    – C’est un coin de paradis que vous m’offrez ! s’exclama le jeune provincial lorsqu’il eut fait à grandes enjambées le tour de son nouveau royaume.
    Pour appuyer le témoignage de sa satisfaction, il s’empara des poignets de sa tante et les pressa.
    – Le paradis assurément, lui répliqua celle-ci en riant, car on ne peut pas rêver d’être ici plus près des nuages… Je suis contente que cela vous plaise.
    – Vous ne sauriez imaginer ce qu’était, à côté de toutes ces splendeurs, ma pauvre chambre de Gironde, murmura-t-il ému.
    La conseillère, qui avait vu son front se troubler à l’évocation du décor de son enfance, dégagea les mains qu’elle n’avait pas retirées afin d’emmêler leurs doigts ensemble.
    – Puisse ce peu de confort, souffla-t-elle, ôter de votre bouche le goût de l’exil et notre affection parvenir à vous réchauffer l’âme ! L’esprit de votre oncle fourmille d’idées sur ce que vous pourriez entreprendre. Il brûle de vous connaître et la perspective d’accueillir si imprévisiblement ce grand fils que la nature lui a refusé, de l’aider à monter à l’assaut des barricades qui s’élèvent de toutes parts pour contrecarrer le talent, le remplit d’allégresse. Avec lui vous serez dans les meilleures mains du monde, près d’une volonté aimante et d’une affection qui ne se lasse pas.
    – J’espère ne pas le décevoir, balbutia le nouveau pensionnaire de l’Hôtel Davignon en réponse à ces douces paroles.
    – Quant à moi, ajouta le vidame, beaucoup plus frivolement et avec le petit pécule qu’on m’a laissé dans cette intention, je m’emploierai dès demain à vous gréer comme on dit par ici, c’est-à-dire à vous vêtir à la parisienne… C’est une chose qui vous surprendra sans doute que la tyrannie du costume et de la mode dans cette ville.
    Victor qui venait de surprendre dans le reflet cuivré d’un miroir, entre les tiges d’un bouquet de pieds d’alouette, son justaucorps aux galons décousus, sa chemise fripée, sa gorge empourprée de soleil, et qui, derrière lui, pouvait en même temps apercevoir le vidame, blanc de figure et chamarré d’habit, réalisa avec effroi qu’il allait se trouver à son tour pareillement emmailloté, roulé dans la farine, affublé pour finir de cette épaisse crinière qui devait échauffer les oreilles. Saisi d’une brusque appréhension, il fut au bord d’interroger sur la nécessité d’une mue si radicale mais, sentant qu’on avait l’air de tenir en face de lui très fort à sa transformation, il ravala aussitôt sa protestation. Il se prit même à rire et, par un de ces glissements qui ne peuvent se contrefaire et qui sont la grâce des gens prédisposés au monde, il se retourna vers sa tante, tirant un pan de chemise hors de sa culotte.
    – Vous devez me trouver bien grossier, mal raccoutré comme je suis ! dit-il.
    – Grossier ! répéta la conseillère, point quand on parvient, comme vous faites, à ne pas accuser les cent trente lieues qui sont dans vos bottes… Mais, trêve de

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