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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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c’étaient ses mollets ramassés en boule qui gigotaient dans ses bas de soie à l’instar de chats qu’un garnement aurait rendus furieux en les ficelant dans un sac.
    – On me rapporte que vous êtes le neveu de monsieur le conseiller, fit ce valet de l’espèce supérieure qui savait ployer l’échine avec une application zélée, fruit de vingt ans de servitude gagée.
    – C’est exact, dit Victor.
    Le bonhomme, tout en demeurant platement courbé, souleva une face hideuse où palpitait un œil énorme. Puis, se redressant soudain et faisant mine de barrer le passage avec sa canne :
    – Monsieur Davignon, que je sache, n’a pas de famille !
    Les yeux du concierge, revenus à leur état de vitreuse béatitude depuis que Victor s’était nommé, s’injectèrent à nouveau de méfiance et il reprit sa gigue, écrasant ses poings jusqu’au fond de ses basques au travers de ses poches trouées.
    – Pour être tout à fait exact, précisa Victor, je me nomme Victor de Felzins de Gironde et je suis le fils de Catherine de Tressan, la défunte sœur de votre maîtresse.
    Le majordome, qui avait placé une main derrière son oreille en guise de cornet acoustique, exécuta sur place une leste pirouette et s’en retourna à l’étage prendre des ordres rectifiés.
    – On n’entre point ici comme on veut ! songea Victor qui avait vécu jusque-là à peu près sans connaître l’usage de clefs.
    Et comme il n’est rien de plus prompt à relever la considération due aux puissants que le déploiement de sentinelles à leur porte, cette réflexion, tout en lui faisant pressentir l’importante position dont jouissait sa famille, eut le don de chatouiller le peu de fatuité qui sommeillait dans un repli de son âme.
    Au bout d’un moment, le majordome reparut, droit comme un « i », marchant d’un pas gaillard, la mine cette fois dégagée.
    – Je vous prie de bien vouloir excuser ce contretemps, annonça-t-il en se dépliant, suivez-moi !
    Il planta alors sa canne sous un bras et se mit en position d’exécuter les premières figures d’un furieux quadrille. Avançant à reculons, ployant sur ses cuisses héronnières, se fendant d’innombrables révérences assaisonnées de tourbillons gracieux des deux mains, il donnait l’idée de désirer passer le chiffon sous le pas des nouveaux venus. Tant de miel et d’onctueuse politesse ne parvinrent cependant pas à gommer la grimace que ne put réprimer ce parfait janissaire à voir la fillette pieds nus emboîter le pas au parent de ses maîtres.
    Il leur fit d’abord gravir l’escalier d’honneur sur la rampe duquel couraient des mascarons représentant Apollon nimbé des rayons du soleil, puis, s’effaçant devant une double porte avec la souplesse du brin d’osier, il les introduisit à l’étage dans un vaste salon tendu de damas couleur malachite. De là, dans une pièce plus resserrée, ornée de lambris aux motifs rechampis, au centre de laquelle se tenait madame Davignon, debout, appuyée au dossier du fauteuil qu’occupait un jeune homme, roulé dans la poudre et la soie, qui écrivait sous sa dictée.
    Sa tante apparut à Victor, blonde et coiffée « à l’effrontée », avec un visage pleinement doré, semblable à ceux qu’affectionnaient les peintres de la Renaissance en Ombrie. Elle était âgée d’environ trente ans, dans ce moment de grâce où la beauté des femmes est pareille à la rose éclose posée entre deux abîmes. Son bout de nez rond, vrai museau de chat, semblait brûler de se frotter à ce que la vie rendait mouvant ; sa bouche, délicieusement fendue, était dessinée exprès pour laisser fuser les mots tendres. Sa robe battante de soie légère, qui s’ornait à l’épaule d’un bouquet de gantelées, découvrait légèrement, selon une mode empruntée aux soubrettes pour quelques vêtements d’intérieur, ses chevilles gainées de turqueries blanches.
    – Victor de Gironde ! est-il possible que vous soyez si grand ? balbutia-t-elle en détachant chaque mot avec un accent dans lequel montait un irrépressible élan de surprise.
    – Ma tante !… Si jolie ! soupira-t-il en allant se jeter dans les bras qu’elle venait de lui ouvrir.
    Un peu décontenancée par cet assaut, mais sans le laisser paraître, la conseillère s’abandonna avec ravissement aux baisers de ce neveu qu’elle s’était figuré au maillot.
    – Dans mes rêves, je vous imaginais presque un enfant, murmura-t-elle, mais vous voici

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