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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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compliments, prenez possession, rafraîchissez-vous, reposez-vous un peu ! Le vidame viendra vous chercher dans une heure et nous souperons dans mon boudoir en comité restreint, à la clochette 78 pour pouvoir parler comme nous voudrons. En attendant je descends aux cuisines donner ordre aux sauces 79 et veiller à ce qu’on prépare un plateau de gala pour votre mascotte.
    Sur ces mots elle esquissa avec la souplesse du félin un demi-tour aux allures de révérence, laissant Victor aux anges et Stella déjà pelotonnée au creux de la grille d’une fenêtre, captivée par le manège de la rue.
     
    Dès six heures le lendemain, Victor et le vidame, l’estomac bien garni, déambulaient par la ville sous un grand soleil rouge. Depuis l’entrée du Pont-Neuf déserté encore par ses saltimbanques et ses étaleurs 80 , Paris, ainsi qu’une odalisque abandonnée aux rêveries dans la clarté ambrée d’un sérail, s’offrit mollement à leur vue. Le fleuve, bordé de la garde noble que montaient, sur la faible pente de ses grèves, quelques-uns des plus fameux bâtiments de France, était assailli, dans l’intervalle de ceux-ci, d’une bousculade de bâtisses déhanchées qui évoquaient l’avancée d’une armée de nains. Certaines de ces constructions projetaient leurs pignons en saillie dans le plus petit interstice de jour ; d’autres avaient monté en graine et haussé jusqu’au vertige lucarnes et vasistas pour avoir vue sur l’eau. C’était le Nil de Cléopâtre tel qu’il est fixé dans l’imaginaire de quelques peintres fous, trempant du même flot fertile des palais soutenant des masures, un culbutis de créatures angéliques et monstrueuses, un tournoiement de flottilles galonnées de voiles aux découpes protéiformes frissonnant ainsi que des guenilles.
    Le vidame, amoureux de la capitale et qui, malgré le beau nom d’oc de Saint-Papoul attaché à son titre, y avait presque toujours vécu, présentait chaque édifice avec la chaleur qu’il aurait pu apporter à faire se rencontrer ses plus constants amis. Victor, plongé dans ce dédale de colonnaisons et de clochers après la nuit réparatrice où l’avait jeté un souper délicieux, s’ébahissait à s’entendre nommer ces lieux dont son père l’avait maintes fois entretenu mais qui, dans le roulis prodigieux des rêves de son enfance, avaient pris d’autres allures.
    Il faisait répéter son guide, accrochant son regard à chaque ombre portée sur la ligne tout en fronces qu’étiraient les immeubles de part et d’autre du fleuve. Pénétrant dans le taillis de flèches et d’échauguettes de l’île médiévale, ils empruntèrent la pente légère des rues de la Lanterne et de la Juiverie que l’avancée des encorbellements paraissait enfoncer sous terre. Ce n’est qu’au beau milieu du pont Notre-Dame qu’ils revirent le jour. Ce dernier était une étroite tranchée bordée de deux rangs de trente échoppes d’à peu près quinze pieds de large, que recouvraient autant de maisonnettes à trois étages, coiffées de pignons triangulaires. Avec son voisin le Pont-au-Change, il constituait le principal point de passage entre l’île et la rive droite mais, pour avoir le privilège d’être équipé d’une pompe qui débitait l’eau gratuitement et s’être, depuis la Renaissance, fait une spécialité des commerces d’art, il était le seul qui drainât à toute heure tant d’hétéroclites chalands.
    On trouvait là quelques bronziers, joaillers ou ciseleurs d’ivoire mais aussi des peintres, échappés au carcan de l’Académie pour venir barbouiller en série des trumeaux, des portes de voitures, des ex-voto et, de plus en plus fréquemment, des sujets de chevalet. Tous ces artistes, qui mêlaient l’art à la boutique, œuvraient dans la pénombre, en contrebas de la chaussée, coincés entre le panneau vitré de leur devanture et le vasistas étroit qui leur donnait vue à l’arrière, au ras du carreau, sur l’eau grise du fleuve. La foule à cet endroit, bigarrure de la cohue industrieuse des quais et de la flânerie indolente des boulevards, ne relâchait presque jamais son mouvement. Des marchands, traquant sur le pas de leur porte le moindre rayon de jour, soumettaient leurs produits aux clients dans la bousculade du passage. On bonimentait sans fard, on auscultait sans mystère, on soupesait sous la poussée des carrioleurs et dans réchauffement des groupes qui se formaient ou qui

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