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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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s’effilochaient en un clin d’œil. On entendait des portefaix qui donnaient leur avis par-dessus l’épaule des badauds et dont l’accent gouailleur faisait, derrière leurs éventails, pouffer des marquises en mantilles et battantes parfumées.
    Juste à côté de l’échoppe du sieur Oudry, dont le fils Jean-Baptiste, âgé de huit ans, était regardé par tous les habitants du pont comme un dessinateur prodige, était installé un vieux peintre sans enseigne, bonhomme à barbiche et calotte de bureau 81 , qui s’était fait une spécialité des petits portraits de saints. Son débit était tel qu’il avait depuis longtemps l’emploi de deux apprentis qu’on pouvait apercevoir du dehors, assis en tailleur à même le sol, un grand carton posé sur leurs genoux. Ces garçons venus de loin se trouvaient bien heureux d’avoir trouvé un maître qui ne leur demandât point d’argent, qui leur donnait même trois livres le mois, les nourrissait de soupe épaisse et leur apprenait sans chigner les secrets d’une technique somme toute honorable. Le plus âgé des deux, celui dont le vidame à force de fréquenter le pont s’était fait un ami, se trouvait à Paris depuis moins d’un an. Il était venu de Valenciennes dans la charrette d’un peintre de décors de théâtre et, après s’être essayé quelques semaines chez un rapin sans clientèle de la rue des Saints-Pères, avait échoué sur le pont Notre-Dame au début de l’été. Son nouveau patron ne tarissait déjà plus d’éloges sur lui ; il l’avait mis d’abord à faire des fonds à l’huile, des verdures et des ciels avant de lui confier quelques contours de figure, surtout celle de saint Nicolas pour laquelle il avait acquis dans Paris une sorte de renommée. Au bout d’un mois le jeune prodige s’était mis à peindre le sujet en entier et à le signer, non sans malice, du propre nom de son patron.
    Le vidame, qui connaissait le marchand pour lui avoir acheté pièce par pièce une série de personnages de la Comédie Italienne qu’il destinait à de petits cadeaux, lui présenta Victor avant de demander la permission de distraire pendant quelques secondes son prodigieux disciple.
    – Monsieur de Gironde, fit-il lorsqu’il fut devant le garçon qui s’était entre-temps levé, je vous présente Antoine Watteau, un exilé comme vous… Il vient d’arriver de son Hainault, la tête pleine de l’opulence de Rubens. En l’entendant parler de son travail, vous comprendrez ce qu’est la passion chez un créateur.
    Le jeune peintre, qui avait souri au compliment, était un blondin chétif, pourvu d’un long visage farineux que deux yeux pétillants paraissaient devoir embraser.
    Il salua les visiteurs d’une révérence qu’il fit fort basse par un reste de moquerie.
    – Les amis de monsieur de Mériadec sont gens de goût, dit-il, ils sont donc, au moins pour cela, mes amis… J’ai fini hier cette copie de la vieille femme de Gérard Dou 82 dont vous m’aviez vu faire l’esquisse. J’attendais votre avis.
    Il alla tirer d’un placard un petit panneau de bois qu’il posa sur l’étagère étroite dont avait coutume de se servir son patron pour montrer aux clients ce qu’il proposait. Il se recula et attendit le verdict des visiteurs sans pouvoir réprimer un mouvement d’inquiétude.
    – J’aime cette lumière, dit aussitôt Victor, elle habite votre portrait et donne vie au modèle.
    – Ah ! la lumière, s’enthousiasma le marchand, voilà le génie de ce garçon… Il nous porte sur la Seine la clarté grise des Flandres. Il vient à point car le public s’est fatigué de la netteté de trait des Français et des empâtements pompeux des Romains. Il va nous franciser le genre flamand, mettre la grande harmonie des choses d’ici dans ces scènes intérieures que réussissent si bien les Hollandais.
    – Ah, non ! se récria Watteau, je veux me tenir dehors, j’ai vécu mon enfance sur les places publiques, dans le mouvement incessant des soldats, sur fond de la magie des bateleurs et des tréteaux. Je veux rendre tout cela : le grouillement des gens, la féerie des spectacles et tout ce que l’éclairage des heures, en tournant, fait virevolter de formes et de couleurs.
    – Noble ambition ! opina le marchand la mine paterne, d’ailleurs vous êtes de taille à tenir tout cela mais je sais aussi que, dès que vous y parviendrez, vous me quitterez. Je me retrouverai seul, une fois de plus, à brosser mes

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