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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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saint Nicolas… Ainsi vont mes apprentis, les princes et l’Académie me volent les meilleurs !
    Ayant conclu ces lamentations par une moue résignée, il se tourna vers le vidame.
    – Vous venez, je suppose, au sujet des retouches que m’a commandées votre parrain pour les portières de son cabriolet.
    Il déplia le rôle de ses rendez-vous et chaussa ses besicles qui tenaient à une boutonnière de son justaucorps par un ruban de velours fané.
    – Nous viendrons mercredi en huit, dès son retour de Versailles.
    – Nous vous attendrons ! conclut le vidame en s’apprêtant à quitter l’échoppe.
    Les deux promeneurs, qui, au sortir du pont, avaient remonté la rue Saint-Christophe, se retrouvèrent au bas des marches de l’étroit parvis de Notre-Dame, au pied du sinistre poteau de justice devant lequel les condamnés à l’amende honorable venaient implorer le pardon de Dieu et prendre un dernier répit avant de marcher au supplice. L’aplomb vertigineux des galeries et des tours, traversées par une clarté grise, écrasait tout alentour. La cathédrale surgissant ainsi, assaillie de taudis et de chapelles dont les pignons et les flèches étiraient leurs ombres jusque sur ses portails, ne pouvait s’appréhender d’un seul coup. Elle livrait alors ses secrets un à un et la connaître tout entière, au hasard des mouvements de la lumière et des contorsions du cou, était à peu près l’œuvre d’une vie.
    Ils entrèrent dans le sanctuaire par un porche de côté. Le vidame, qui se distinguait des gens de son époque par l’amour qu’il portait aux temps gothiques, montra à Victor, depuis la grille du chœur, les principaux éléments de cette architecture de jaillissement dont il connaissait le nom savant et l’exacte fonction. Le vaisseau central leur apparut nu et totalement dépourvu de sièges, en contrepoint de l’autel de marbre flanqué de statues et de stalles qu’était en train d’aménager sur ordre du roi l’architecte Robert de Cotte. Il était séparé des bas-côtés par deux rangées ininterrompues de tapisseries à sujets bibliques surmontées d’un alignement de drapeaux pris aux ennemis, présentés la hampe horizontale telles les pages non cousues d’un livre. Dans cette immensité, par-dessus le souffle d’un orgue positif, bourdonnait la psalmodie expirante de chanoines qui machicotaient 83 . Il s’agissait d’un psaume de l’office de la Vierge dont les paroles latines étaient : « In plateis sicut cinnamonnum et balsanum aromatizans odorem dedi quasi myrrha electa dedi suavitatem odoris 84 . »
    Jean-Hercule, à ce chant aux résonances élégiaques, tira de sa poche un minuscule livre d’heures qui tenait dans le creux de la main. Après avoir accompagné des lèvres ces phrases à l’écho affaibli, il baisa la couverture qu’il venait de refermer en découvrant une expression de bonheur qui surprit Victor.
    – Vous êtes sans doute très religieux ? lui demanda celui-ci lorsqu’ils eurent franchi le portail Sainte-Anne.
    – Pourquoi dites-vous cela ? s’étonna le vidame.
    – Je viens de vous voir prier sans douleur.
    – Qu’y a-t-il là d’étonnant ?
    – Vous allez me trouver sans doute étrange, s’obstina Victor, mais je viens d’un pays où les affaires de Dieu n’ont jamais été simples. Plus d’une fois chez moi le sang est venu éclabousser la dalle des sanctuaires… La prière, dans mon Rouergue, est une pénitence ; l’on ne s’y rend jamais tout sourire ou par délectation pure.
    – Je sais par votre tante que vous avez vécu des moments terribles. Si la chose peut vous consoler, vous constaterez vite que les choses ne sont pas plus faciles ici… Je suis prêt à gager qu’avant ce soir vous aurez entendu parler de la querelle des jésuites et des quesnellistes 85 , des coups qu’ils se portent et des anathèmes dont ils s’écrasent… Votre oncle et votre tante tiennent fort au vieux jansénisme des Arnauld 86 . Ils n’en font pas mystère, on les connaît partout pour cela dans Paris.
    – Et vous ? s’enquit ingénument Victor.
    – Je suis ancien élève des Jésuites et je ne renie pas mes maîtres… Mais nous n’aurons que trop d’occasions de reparler de ces disputes qui ne laissent pas de m’effrayer par le tour belliqueux qu’elles prennent.
    – Le siècle qui s’ouvre, soupira Victor, ne nous apportera-t-il pas davantage de paix pour les consciences ?
    – J’en doute, répliqua Jean-Hercule,

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