Le médecin d'Ispahan
voudrez. Il faudra plusieurs mois pour arriver au parc des
éléphants à Mansoura. Autant vivre le mieux possible d'ici là. »
Rob se souvint
de ce qu'il lui avait raconté de son enfance : l'armée dévastant la
province de Hamadhan et la fin cruelle des siens ; il se demanda combien
de nouveau-nés seraient fracassés contre les rochers à cause de la famine, sur
le passage des soldats. Puis il eut honte de son mouvement d'humeur :
Karim n'était pour rien dans cette expédition.
« J'ai
quelque chose à demander : il faudrait user des latrines autour de chaque
camp. »
La suggestion
de Rob fut immédiatement appliquée et annoncée comme une décision des médecins,
ce qui ne les rendit pas populaires car les hommes déjà fatigués devaient
encore creuser chaque soir, et chercher une tranchée dans le noir quand ils
avaient besoin de se lever la nuit. La plupart des soldats, d'ailleurs, les
regardaient avec mépris. On savait que Mirdin ne portait pas d'arme ; les
chapeaux de cuir les faisaient remarquer, ainsi que leur habitude de se lever
tôt pour aller prier hors du camp avec leurs châles et leurs lanières de cuir
autour des bras et des mains.
« Pourquoi
pries-tu avec moi, ici où il n'y a pas d'autre Juif pour t'espionner ?
Es-tu devenu un peu juif ? » disait Mirdin en souriant.
Quand ils
arrivèrent à Chiraz, le kelonter sortit de la ville avec un convoi de vivres
pour éviter le pillage de la région. Puis, ayant présenté ses respects au chah,
il embrassa Rob, Mirdin et Karim, s'asseyant pour boire en leur compagnie et
parler de leurs souvenirs communs. Ils le raccompagnèrent aux portes de la cité
et au retour, le vin aidant, se lancèrent dans une course de chameaux. Ce fut
une révélation : chaque pas de la chamelle devenait un élan qui la portait
au-dessus du sol avec son cavalier et Rob éprouvait toute sorte de sensations
délicieuses : il flottait, il s'envolait, il allait comme le vent. La
prenant en affection pour la première fois, il criait : « Va, ma
belle ! Allez, ma fille ! »
Le chameau
brun de Mirdin gagna la course, mais Rob tint à donner à sa chamelle un
supplément de fourrage. Alors elle le mordit et il garda longtemps au front la
trace violette de ses dents. C'est pourquoi désormais il l'appela toujours la
Garce.
58. L'INDE
Après Chiraz ils suivirent la route des épices puis rejoignirent la côte près d'Ormuz
pour éviter les montagnes. C'était l'hiver mais l'air du golfe restait doux et
parfumé. En fin de journée, après avoir installé le camp, les soldats et leurs
bêtes allaient parfois se baigner tandis que sur le sable brûlant des plages,
les sentinelles guettaient les requins. Les gens du pays étaient noirs,
Balouchis ou Persans ; les uns pêcheurs, les autres fermiers qui
récoltaient dattes et grenades, ils vivaient sous la tente ou dans des maisons
à toit plat, bâties de pierre et de boue. Au bord d'un oued, quelques familles
habitaient des grottes.
Cette terre
misérable semblait réjouir Mirdin, qui regardait autour de lui d'un air
attendri. A Tiz, un village de pêcheurs, il prit Rob par la main et le mena au
bord de l'eau.
« Là, de
l'autre côté, dit-il en montrant le golfe d'azur, c'est Mascate. En quelques
heures, un bateau nous mènerait chez mon père. »
Mais, le
lendemain matin, ils levèrent le camp et chaque pas les éloigna de la famille
Askari. Un mois après avoir quitté Ispahan, ils franchissaient la frontière.
Ala tripla la garde autour du camp la nuit et le mot de passe changea chaque
matin ; qui voudrait entrer sans le connaître risquerait la mort.
Dans le Sind,
les soldats reprirent leurs habitudes de maraude et, un jour, ramenèrent des
femmes comme ils le faisaient des animaux. Ala autorisa, pour une nuit seulement,
la présence des femmes dans le camp. Il était déjà difficile à une troupe de
six cents hommes d'approcher Mansoura sans donner l'alerte ; il fallait
éviter que le bruit des enlèvements ne se répande dans le pays. On allait vivre
une nuit de folie. Rob et Mirdin virent avec surprise Karim choisir
soigneusement quatre filles. Pourquoi quatre ? Ce n'était pas pour
lui : il les conduisit à la tente royale.
« Dire
que c'est pour cela, soupira Mirdin, que nous l'avons tant aidé à préparer son
examen ! »
Les autres
femmes passèrent de main en main ; les hommes, en groupes, regardaient
faire les camarades et applaudissaient. La nuit n'était que cris
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