Le médecin d'Ispahan
qu'il
contenait de vie. Le Barbier conclut de son silence que ce n'était qu'illusion.
« On
devrait retourner à Hereford pour voir si le vieux est toujours vivant »,
proposa-t-il insidieusement. Rob accepta.
« C'est
impossible, bêta ! Et s'il était vraiment mort, on aurait la corde au
cou. »
Il continua à
ironiser sur le « don », mais, quand Rob négligea de prendre les
mains des patients, il le pria de continuer : « Pourquoi pas ?
Ne suis-je pas un bon homme d'affaires ? C'est une fantaisie qui ne coûte
rien. »
Un soir de
pluie, à Peterborough, il se soûla, seul, à la taverne.
Rob alla le
chercher vers minuit, le soutint jusqu'au camp et l'installa près du feu.
– Je t'en
prie, murmura le Barbier d'un air angoissé, et tendant ses mains. Au nom du
Christ ! »
Comprenant
enfin, Rob lui prit les mains et, le regardant dans les yeux, il hocha la tête.
Alors le Barbier se fourra au lit, rota, se retourna et s'endormit d'un sommeil
serein.
10. LE NORD
Cette année-là, le Barbier ne passa pas l'hiver à Exmouth. Ils étaient partis trop
tard et la chute des feuilles les trouva dans un village des York Wolds. L'air
embaumait des senteurs toniques de la lande. Ils suivirent l'étoile du Nord,
faisant dans les villages, tout le long du chemin, de fructueuses étapes et
menant la charrette sur un tapis de bruyère jusqu'à la ville de Carlisle.
« Je ne
suis jamais allé plus loin au nord, dit le Barbier. A quelques heures d'ici, la
Northumbrie s'arrête à la frontière. Au-delà, c'est l'Ecosse, terre d'enculeurs
de moutons, périlleuse pour d'honnêtes Anglais. »
Ils campèrent
une semaine à Carlisle puis y louèrent une maison. Le Barbier avait pensé
acheter un quartier de chevreuil, mais on risquait la corde à prétendre au
gibier réservé pour la chasse du roi et il se décida pour une quinzaine de
poules.
« Tu t'en
occuperas, dit-il à Rob. A toi de les nourrir, de les tuer quand je te le
dirai, de les plumer, les vider, qu'elles soient prêtes à cuire. »
C'étaient des
bêtes impressionnantes, grandes, au plumage jaune clair, qui se laissèrent
voler quatre ou cinq œufs chaque matin.
« Elles
te prennent pour un sacré coq ! dit le Barbier.
– Pourquoi ne
pas en acheter un ? »
Mais le gros
homme, qui aimait les grasses matinées d'hiver et détestait les cocoricos, se
contenta de grogner.
Rob, se voyant
quelques poils au menton, emprunta à son maître le rasoir de sa trousse
chirurgicale ; il se coupa ici et là, mais se sentit un peu plus adulte.
Devant le
premier poulet condamné, il se retrouva presque enfant. Il finit par lui tordre
le cou de ses fortes mains, en fermant les yeux. L'animal se vengea car il
fallut un temps infini pour le plumer, si mal que le Barbier eut un regard de
mépris pour son cadavre grisâtre. Mais le maître fit la démonstration d'une
véritable magie : en tenant ouvert le bec d'une poule, il lui enfonça la
pointe d'un couteau à travers le palais jusqu'à la cervelle. Elle mourut
instantanément, en lâchant ses plumes, qu'on pouvait tirer par poignées sans le
moindre effort.
« C'est
aussi facile de tuer un homme et je l'ai déjà fait. Ce qui est difficile, c'est
de retenir la vie, et plus encore de garder la santé. Nous devons toujours
avoir cela à l'esprit. »
Le temps était
bon pour la récolte des plantes dans les bois et la lande. Le Barbier cherchait
surtout le pourpier, qui fait tomber la fièvre ; il fut déçu de n'en pas
trouver. Ils prirent des pétales de rose rouge pour les cataplasmes, du thym et
des glands à réduire en poudre et à mêler à de la graisse pour enduire les
pustules du cou. D'autres exigeaient plus d'efforts, comme arracher la racine
d'if qui aide la femme à expulser son fœtus. Ils récoltèrent la verveine et
l'aneth pour les maladies urinaires, le lis des marais qui combat les pertes de
mémoire dues aux humeurs froides et aqueuses, des baies de genièvre à faire
bouillir pour libérer les voies respiratoires, le lupin pour les compresses
chaudes qui vident les abcès, le myrte et la mauve qui calment les
démangeaisons.
« Tu
grandis comme la mauvaise herbe », observa le Barbier, et c'était
vrai : Rob était presque aussi grand que lui ; il avait besoin de
nouveaux habits.
On fit du neuf
avec du vieux. Le tailleur, qui lui donna quinze ou seize ans, avait vu grand
et le fou rire les prit d'abord devant le résultat. Rob avait marché pieds nus
tout
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