le monde à peu près
vers mes envolées célestes (ne pouvant faire valoir ma
science du dribble dans le sable, j’ai choisi de garder les buts), elle
m’aurait rapporté la balle de mousse qu’innocemment j’aurais laissé filer en
dépit d’un plongeon magnifique destiné moins à empêcher l’équipe adverse de
marquer qu’à ce qu’elle atterrisse comme un hommage à ses pieds de danseuse.
Une balle que je ne veux plus rendre maintenant qu’elle est enduite d’un peu de
la crème parfumée qui couvre ses bras, ses jambes, ses épaules (elle est bien
trop sage pour demander l’aide que réclamerait l’huilage de son dos), et que je
serre très fort contre moi, comme si c’était une partie d’elle, mais en fait
plus personne ne s’intéresse au jeu maintenant que notre spectatrice favorite
traverse la plage dans son maillot deux-pièces, slip marine et haut bleu ciel,
inspirés de son uniforme de jeannette, rejetant ses longs cheveux en arrière,
avant de plonger, tête la première, dans les rouleaux, d’émerger quelques
mètres plus loin et de s’éloigner à la force de ses bras jusqu’à bientôt
disparaître à nos yeux.
Et c’est ainsi que la mer l’avait avalée, au cours de son
seizième été, alors qu’elle nageait au large, seule, et que, prise d’une crampe
sans doute, elle avait dû appeler en vain, essayant peut-être d’attirer
l’attention de ce groupe de pensionnaires jouant sur la plage. Mais des
gesticulations, des cris tout à fait inutiles : même dans mes rêveries, je
ne me portais jamais au secours d’une femme en train de se noyer. A quoi bon,
si vous ne savez pas nager.
J’aurais aimé demander à mon camarade s’il avait sur lui une
photo de ma danseuse sirène. Ses traits s’étaient définitivement brouillés, et
je ne gardais plus que le souvenir de ses longs cheveux – un peu
aussi de sa jupe marine et de la naissance de ses cuisses quand elle se
penchait à la recherche de mes balles perdues dans l’herbe haute du jardin,
mais ce n’était pas forcément un souvenir d’origine. Avaient pu se greffer sur
cette image enfantine d’autres visions plus tardives, de robes soulevées par le
souffle d’une bouche d’aération, par exemple, que le cinéma, via la télévision,
entrée dans la maison quelques années plus tard, avait relayées. Il m’était
encore plus difficile de vieillir de quelques années le visage flou de la noyée
en m’arrêtant au bord de ses seize ans, c’est-à-dire à cette extrémité de
l’enfance qui dessine déjà la femme à venir.
Je m’étais tellement appliqué, soir après soir, dans la
pénombre claire du dortoir, à composer son portrait-robot réactualisé à mesure
que le temps passait et que s’estompait ses traits, me préparant sans doute par
ce lifting à l’envers à une nouvelle rencontre, pour laquelle, plus mature, je
m’accordais une seconde chance, qu’au moment de sortir la chemise orange de mon
cartable à la demande de mon camarade je fus bien obligé de reconnaître que
cette silhouette dessinée de dos, d’un coup de crayon maladroit, c’était elle
encore, et donc qu’elle avait survécu inconsciemment à sa dissolution et à
l’accumulation de mes rêveries : jeune femme aux longs cheveux lâchés
tombant jusqu’à la taille, donnant le bras à un homme en queue-de-pie et
chapeauté d’un haut-de-forme canaillement incliné sur l’oreille, tenant par le
goulot dans sa main droite une bouteille d’alcool, style flacon d’armagnac, de
forme circulaire et plate, qui, étant donné la maladresse du trait, pouvait
tout aussi bien évoquer une raquette de ping-pong.
Car, officiellement, le jeune homme en habit de gala se
présentait comme un clone de Rimbaud (le crayonné étant censé rappeler les
dessins fantaisistes de Delahaye, croquant son ami parcourant le monde à
longues enjambées), ce que le titre rendait d’une manière guère plus
explicite : Jean-Arthur ou La même chose. Allusion également peu claire à
l’apostrophe des buveurs, c’est-à-dire remettez-nous ça, à savoir, ici, la vie,
et donc il fallait comprendre que ledit Jean-Arthur avait survécu à
l’amputation de sa jambe (laquelle sur le dessin était remplacée par un pilon,
style capitaine Achab ou Long John Silver), et j’expliquai à mon camarade, que,
de retour au pays (les femmes soignent ces féroces infirmes etc.), il retrouvait
la sœur d’un de ses amis d’enfance, laquelle avait rêvé de cet aventurier
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