Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
dans le cours du XIX e siècle. Il s’agit
d’un jeune homme pauvre qui fait son apprentissage chez le forgeron de
Pont-de-Piles, un homme d’une taille gigantesque, qui a les yeux comme des
braises rouges, qui est hirsute et barbu, et ne met jamais les pieds dans une
église. Caché dans un coin, l’apprenti découvre que le forgeron a une fille, la Reine des Vipères , et que celle-ci est tombée
amoureuse de lui. Le forgeron promet à sa fille qu’elle épousera l’apprenti. Après
différentes épreuves qui démontrent la valeur du jeune homme, le forgeron lui
propose d’épouser sa fille. Il refuse. Le forgeron lui coupe les pieds et finit
par l’enfermer dans une tour sans toit, dans le pays des Vipères. Seule la
Reine des Vipères peut y pénétrer, par un trou qu’elle est seule à savoir
déboucher et reboucher : elle vient trouver l’apprenti chaque soir et lui
promet la liberté s’il accepte de l’épouser. À chaque fois, le jeune homme
refuse. Cela ne l’empêche pas de travailler, car le forgeron lui envoie du
travail à faire par l’intermédiaire des grands aigles de la montagne. Mais le
jeune homme dérobe du métal, le cache et le forge en secret. Il fabrique ainsi
une hache d’acier, une ceinture de fer garnie de trois crocs, une paire de
pieds d’or qu’il ajuste à ses jambes pour remplacer les pieds que lui a coupés
le forgeron, et une paire d’ailes légères comme de la plume. Et cela dure sept
ans. Un soir à la perpétuelle demande de la Reine des Vipères, il répond
affirmativement. La Reine des Vipères s’étend à côté de lui, et tous deux
passent la nuit en devisant d’amour. Au matin la Reine lui dit que son martyre
va prendre fin et qu’elle viendra le chercher au coucher du soleil. Mais, le
soir, le jeune homme prend ses instruments et monte la garde près du trou où va
passer la Reine des Vipères. Quand elle entre, il lui met son pied d’or sur le
cou. Elle essaie de le mordre, mais n’atteint que le pied d’or. Il lui coupe
alors la tête avec sa hache, ajuste ses ailes et s’évade. Il retrouve le
forgeron de Pont-de-Piles qui, tous les soirs, se change en loutre, lui détruit
sa peau d’homme et s’en débarrasse de cette façon, raflant du même coup tous
les trésors accumulés par le forgeron et la Reine des Vipères, trésors qui sont
surtout des secrets qui lui permettront d’épouser
la jeune princesse qu’il aime. [49]
On remarquera la façon dont le jeune apprenti se débarrasse
de la Reine des Vipères : il lui pose le pied sur le cou et celle-ci
essaie de le mordre au talon. Mais le héros a un pied
d’or , ce qui le rend invulnérable : il a tourné la malédiction de
la Genèse , puisque, manifestant son animosité
contre le Serpent, il agit comme descendant de la Femme (Ève), mais grâce à son
habileté, c’est-à-dire le remplacement de ses véritables pieds par des pieds en
or, il déjoue la défense de son ennemie. Ces pieds d’or ont une extrême
importance au point de vue symbolique : le jeune homme a dû subir une
amputation douloureuse avant de pouvoir sa fabriquer lui-même des pieds de
substitution ; c’est donc dire que toute acquisition initiatique, toute
transgressions, toute victoire sur les forces obscures, ne s’obtiennent pas
sans un sacrifice, en l’occurrence un sacrifice sanglant. Le jeune homme a payé
de sa personne avant de triompher. Et si l’on analyse ce conte dans ses détails
les plus minimes, on peut facilement comprendre la double malédiction de
Yahvé-Dieu dans la Genèse à propos du Serpent, mais aussi du lignage d’Ève : tout se
passe comme si Dieu avait délibérément exposé l’humanité à la menace du Serpent.
Dans ces conditions, on comprend qu’il ne suffise pas de représenter la Vierge
Marie écrasant la tête du Serpent : il manque quelque chose d’essentiel.
Cette idée fondamentale de la morsure du Serpent, elle se reconnaît
dans une légende bien connue, celle d’Orphée et d’Eurydice, mais jamais, semble-t-il,
les commentateurs n’y ont fait allusion, obnubilés par le rôle principal qu’ils
attribuent à Orphée, négligeant d’analyser la conduite exacte d’Eurydice.
D’abord, il faut préciser qu’Eurydice est une nymphe, et non
pas une simple mortelle. Sans être une divinité, sans être immortelle, elle
appartient nettement à l’Autre Monde. Mais elle a épousé le mortel Orphée. Alors
intervient le drame : Eurydice est mordue par un
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