Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
de ses
informateurs, qui est borgne, lui explique comment il a perdu un œil :
« Il y a un monticule qu’on appelle le Tertre Douloureux, et sur ce
monticule il y a un carn , dans le carn un serpent, et dans la queue du serpent une
pierre. La pierre a cette vertu que quiconque la tient dans une main peut avoir,
dans l’autre, tout ce qu’il peut désirer d’or. C’est en me battant avec le
serpent que j’ai perdu mon œil. » [46] Il s’agit bel et bien de
la Pierre philosophale des Alchimistes. Et il y a une nette équivalence entre
la pierre et l’œil, puisqu’on peut perdre un œil en essayant de s’emparer de la
pierre. D’ailleurs, dans l’épisode suivant du récit, Peredur rencontre une
mystérieuse femme, l’Impératrice (qui est la Kundry de Wolfram von Eschenbach),
qui lui révèle comment aller combattre un autre monstre, un addanc , c’est-à-dire une sorte de dragon qui se
cache dans une caverne et qui ravage le pays : « Il y a, sur le seuil
de sa grotte, un pilier de pierre. Il (l’ addanc )
voit tous ceux qui viennent sans être vu de personne, et, à l’abri du pilier, il
les tue tous avec un dard empoisonné. Si tu me donnais ta parole de m’aimer
plus qu’aucune autre femme au monde, je te ferais don d’une pierre qui te
permettrait de le voir en entrant sans être vu de lui. » [47] Cette pierre de l’Impératrice est donc à la fois une pierre d’invisibilité et
une pierre qui permet de voir ce qui est invisible, avec toute l’ambiguïté
conséquente. Mais, incontestablement, la pierre de l’Impératrice est l’équivalent
de la Pierre du Dragon, et toutes deux sont liées à l’œil.
Le Dragon, quel qu’il soit, Satan ou la Vouivre des
traditions populaires, possède donc une pierre :
c’est une pierre précieuse douée de vertus extraordinaires et d’où émane une
lumière surnaturelle. Cette pierre est donc un œil qui non seulement voit mais lance aussi une
lumière qui peut être mortelle. On pense à Balor, le chef géant des
Fomoré de la mythologie irlandaise, qui est le grand-père du dieu Lug : il
a un œil pernicieux , c’est-à-dire un œil dont
le regard peut foudroyer les ennemis qu’il regarde. Et le dieu Lug, dans le
combat qui oppose les Tuatha Dé Danann aux Fomoré, réussit à vaincre Balor en
lui lançant une balle de fronde dans l’œil. N’oublions pas que Lug-Mercure est
l’équivalent de saint Michel.
De toute façon, cette Pierre de Dragon, escarboucle, rubis
ou émeraude, est un talisman dont le rapport semble très étroit avec un monstre
serpentiforme. Et c’est alors que la comparaison devient nécessaire avec un
motif celtique bien mystérieux et sur lequel on a beaucoup discuté, celui de l’ œuf de serpent . Dans les traditions populaires, comme
le fait remarquer Paul Sébillot, ce n’est en réalité pas un œuf, bien que la
forme en soit ovoïde et prête ainsi à cette appellation : c’est une pierre
produite par le serpent lui-même. De nombreux contes populaires bretons-armoricains
font ainsi allusion à cet œuf de serpent , lui
accordant toujours des vertus magiques ou démoniaques. En fait, c’est Pline l’Ancien
qui en a parlé la première fois à propos des Gaulois :
« Il y a en outre une sorte d’œuf dont les Grecs ne
parlent pas, mais qui est très connue dans les Gaules. Pendant l’été, d’innombrables
serpents, qui se sont enroulés ensemble, se rassemblent dans une étreinte
harmonieuse, grâce à la bave de leurs gosiers et les sécrétions de leurs corps.
Cela s’appelle “œuf de serpent”. Les druides disent que cet œuf est lancé en l’air
par des sifflements, et qu’il faut le recueillir dans un manteau avant qu’il ne
touche terre. À ce moment, le ravisseur doit s’enfuir très vite à cheval, car
il est poursuivi par les serpents, lesquels ne peuvent s’arrêter que devant l’obstacle
d’une rivière. On reconnaît cet œuf à ce qu’il flotte contre le courant, même s’il
est attaché à de l’or. L’habileté extraordinaire des mages (= druides) pour
cacher leurs fraudes est telle qu’ils prétendent qu’il ne faut s’emparer de cet
œuf qu’à une certaine phase de la lune, comme s’il était possible de faire
coïncider l’opération avec la volonté humaine. Certes, j’ai vu cet œuf, de la
grosseur d’une pomme ronde de taille moyenne, avec une croûte cartilagineuse comme
les nombreux bras du poulpe. Cet œuf est célèbre chez les druides.
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