Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
de se protéger
puisque c’est volontairement, pour fuir son agresseur, qu’elle s’est métamorphosée
ainsi. La malédiction de Yahvé-Dieu est redoutable : « Je mettrai une
hostilité entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien. Il t’écrasera la
tête et tu l’atteindras au talon. »
Car le Dragon des profondeurs est toujours prêt à mordre. La
terrible Echidna excite peut-être le désir d’Héraklès, mais elle n’en perd pas
pour autant sa cruauté. La Reine des Vipères aime certainement le jeune
apprenti du forgeron, mais elle n’oublie jamais qu’elle est la souveraine d’un
peuple d’ophidiens qui s’insinuent dans les moindres cavités de la terre et
sont toujours prêts à mordre ceux qui les dérangent. Mélusine, après la divulgation
de son secret par son propre mari, devient une sorte de monstre femelle qui, si
elle construit des églises et des hôpitaux, n’en détruit pas moins les
fortifications de ceux qui ont l’audace de se dresser contre elle. D’ailleurs, à
ce que raconte Paul Sébillot, aux confins de la Côte-d’Or, de l’Yonne et de l’Aube,
en la forêt de Maulnes, on entend Mélusine sangloter en son manoir, mais on
sait très bien que lorsque quelqu’un passe à proximité, elle le frappe
sauvagement. Et surtout, elle a la fâcheuse réputation d’enlever les enfants, tout
comme la Lilith hébraïque dont elle n’est que l’image à la mode occidentale. D’ailleurs,
près de Crécy-en-Brie, non loin d’une source dite « Mare Luisienne »,
il y a un puits dont les mères écartent les jeunes enfants en les menaçant de
leur faire voir à la surface de l’eau le Poisson à tête de femme. Dans le canton
de Solutré, en Saône-et-Loire, elle réapparaît sous les traits de la Bête
Faramine, celle qui a désolé si longtemps le pays et qui y a dérobé de si
nombreux enfants à leurs parents. Dans la région de Metz, c’est le Graoully, une
sorte de monstre dragonesque, qui accomplit ces mêmes forfaits. En
Franche-Comté et en Auvergne, des basilics mélusiniens font mourir ceux qui
puisent de l’eau à certains puits. En Côte-d’Or encore, Mélusine, la serpente, est
censée habiter le puits de Salmaise, au grand effroi des enfants qui ne sont
pas sages que l’on menace d’y jeter. Et l’ombre de la même Mélusine rôde près d’une
tour du château de Fougères (Ille-et-Vilaine) qui porte son nom, une autre tour
étant celle du Gobelin, c’est-à-dire du lutin qui forge dans les entrailles de
la terre.
Le rapport intime qui unit la Femme et le Dragon est très explicite
dans la légende grecque de Jason et de Médée. On sait que Jason monte une
expédition pour s’emparer de l’énigmatique Toison d’Or : mais cette Toison
est gardée nuit et jour par un horrible dragon et par deux taureaux monstrueux
dont le corps est impénétrable au fer, et dont les naseaux vomissent des
torrents de flammes. Jason n’aurait jamais pu s’emparer de la Toison sans l’aide
de Médée qui dompte les taureaux et endort le dragon .
Cette Médée, on nous la présente également volant dans un char aérien tiré par des dragons . Il ne fait aucun doute que
Médée, classée comme « sorcière » déjà dans le cadre socioculturel de
la Grèce, est une femme-dragon analogue à Mélusine. Quand elle endort le Dragon,
elle ne fait que néantiser provisoirement un aspect de sa personnalité. Quand
elle navigue dans les airs sur son char, elle met au contraire en avant la
partie dragon de son être. Et, bien entendu, elle est ambiguë : elle
procure la richesse, l’abondance, mais sa cruauté et sa « barbarie »
n’en sont pas moins évidentes. La femme-dragon est toujours inquiétante parce
qu’elle connaît les « secrets » et qu’elle peut métamorphoser son
aspect.
Dans le cadre socioculturel chrétien, il était normal qu’on
insistât sur ce côté inquiétant de sa personnalité : d’où l’identification
toujours plus ou moins nette avec le Diable ou un être diabolique. L’Anglo-Normand
Gautier Map, à qui l’on a attribué faussement le récit en prose de la Quête du saint Graal , et qui écrivait aux alentours
de l’an 1200, se fait l’écho d’une tradition mélusinienne très éloquente à ce
point de vue. Il s’agit d’un jeune seigneur appelé Henno, qui rencontre, dans
une forêt normande, une mystérieuse jeune fille. Henno l’épouse et en a de
beaux enfants. Mais la mère de Henno s’aperçoit que sa
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