Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
deux versions légèrement divergentes. Dans
la première version, il est question d’une querelle, dont on ne précise pas la
cause, entre le Dieu des Vents et de l’Orage et le Dragon des Profondeurs, chacun
se disant plus puissant que l’autre. « À la fin, ils en vinrent aux coups,
et ce fut le Dragon qui eut le dessus, et il battit son rival comme plâtre. »
Bien entendu, le Dieu des Vents et de l’Orage veut prendre sa revanche. Mais comment
faire pour venir à bout d’un aussi terrible adversaire ? Il faut utiliser
la ruse. Il demande à la déesse Inara de préparer un somptueux banquet : il
invitera le Dragon à festoyer, et il pourra ainsi l’enivrer. Mais la déesse
décide de perfectionner le piège : « Supposons que le Dragon ne s’enivre
pas, alors tous les dieux seront à sa merci et ils ne feront que s’exposer à
une catastrophe s’ils tentent de le maîtriser. Il vaut certes mieux qu’un
mortel risque sa vie plutôt que de voir un seul des dieux aller à sa perte. »
Et Inara s’efforce de convaincre le mortel Houpasiya de venir au banquet pour
provoquer le Dragon. Houpasiya accepte à condition que la déesse couche avec
lui, selon la croyance bien établie que des rapports sexuels entre un mortel et
une divinité procurent au mortel un peu de la puissance divine.
Tout est en place. Le Dragon vient au banquet, se goinfre et
abuse des breuvages fermentés. « Alors, ne pouvant plus ni manger ni boire
davantage, il se leva en titubant et rentra lourdement chez lui. En arrivant, hélas !
il vit qu’il était devenu si gros et que sa peau était si tendue, que même en
se tortillant et en se tournant, et même en s’étirant et en s’allongeant, il ne
put réussir à se glisser dans son trou. » C’est alors qu’intervient
Houpasiya : il ligote le Dragon avec une corde, et c’est un jeu d’enfant
pour le dieu de l’Orage de venir et de l’achever. Le succès de l’opération ne
fait aucun doute, mais il faut bien dire que les dieux ne retirent guère de
gloire de cette disparition du Dragon, même si le mortel Houpasiya prend le
relais et se révèle le seul héros de l’aventure. Cela ne lui porte d’ailleurs
pas chance, car la déesse Inara, inquiète d’avoir donné une partie de sa
puissance à un mortel, finit par tuer Houpasiya, montrant ainsi une jalousie et
une ingratitude peu conformes à l’idée qu’on se fait des divinités.
La seconde version met en place un schéma qui va davantage
dans le sens d’une exaltation du héros vainqueur et victime de son devoir.
« Le dieu de l’Orage et le Dragon qui habite les profondeurs des eaux
étaient ennemis de longue date, et ennemis acharnés, chacun s’imaginant être
plus puissant que l’autre. Quand le dieu de l’Orage faisait souffler et siffler
ses vents, le Dragon faisait rugir et gronder ses vagues ; et si le dieu
de l’Orage envoyait la foudre et la pluie, le Dragon à son tour déchaînait la
houle et l’inondation. » On retrouve ici la confrontation déjà remarquée
dans le mythe d’Indra et de Vritra, entre les puissances célestes et ignées d’une
part, et les puissances telluriques et aquatiques d’autre part. Et l’on ne peut
s’empêcher de penser que, selon la Genèse , au
commencement, « les Élohim flottaient sur les Eaux. »
Mais la confrontation prend un tour tragique et en même
temps très révélateur du sens profond du mythe :
« Un jour, leur inimitié dégénéra en violente querelle et ils se mirent à
se frapper et à se meurtrir à tel point que, à la fin, le Dragon réussit à
arracher le cœur et les yeux de son adversaire. Cela n’empêcha pas du reste le
dieu de vivre : contrairement aux hommes, les dieux peuvent en effet vivre
sans cœur, mais cela lui porta sûrement un coup funeste et le laissa fort déprimé. »
Là, tout devient fort clair : le monde , c’est-à-dire l’existence relative des
êtres et des choses, n’existe que par la
confrontation permanente entre le dieu de l’Orage et le Dragon . L’immanence
est l’énergie à l’état pur, la permanence, l’énergie manifestée et par
conséquent en action, même si cette action est présentée sous forme d’une
confrontation violente. Les deux entités dont il est question ici représentent
symboliquement deux forces qui sont certes antagonistes, mais qui n’en sont pas
moins complémentaires, et cela de façon obligatoire :
car ces deux forces sont de valeur strictement
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