Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
égale, et c’est dans cette
mesure que l’équilibre est assuré. Mais où rien ne va plus, c’est lorsqu’un des
deux antagonistes l’emporte sur l’autre : il y a rupture, déchirure, et, comme
le dit le texte hittite avec un certain humour, le dieu de l’Orage en reste « fort
déprimé ».
Or, si l’on met ce mythe en parallèle avec la tradition
judéo-chrétienne, on peut penser qu’il s’agit dans l’un et l’autre cas d’une
explication fondamentale de l’imperfection du monde et surtout de l’ existence du Mal . Mais qu’on y prenne bien garde :
LE MAL, CE N’EST PAS LE DRAGON, C’EST LE DÉSÉQUILIBRE DE FORCES EN FAVEUR DU
DRAGON. On peut même aller plus loin et renverser la proposition : LE MAL
SERAIT LE DÉSÉQUILIBRE DE FORCES EN FAVEUR DU DIEU DE L’ORAGE. Transcrite dans
le contexte judéo-chrétien, cette constatation pourrait ainsi devenir : « Le
Mal est le résultat de la confrontation entre Dieu et Satan, confrontation qui
a tourné provisoirement à un déséquilibre en faveur de Satan. Mais si Dieu
obtenait un même déséquilibre en sa faveur, cela ne changerait rien et le Mal
existerait toujours. La solution est donc de revenir au point d’équilibre entre
Dieu et Satan. »
Voilà certes de quoi faire frémir les fidèles zélateurs du
Christianisme. Quel est donc l’ecclésiastique tant soit peu clairvoyant qui
puisse rester indifférent devant une représentation de saint Michel en train de
lutter contre le Dragon ? Il doit quand même bien s’apercevoir qu’il n’y a,
dans ce combat, ni vainqueur ni vaincu, que l’essentiel se trouve dans l’ acte de la confrontation et non dans la présence de l’un
sans l’autre : supprimons le Dragon, et cela ne veut plus rien dire ;
supprimons saint Michel, et il n’y a plus rien non plus. L’acte seul est générateur.
Tout le reste est à ranger dans la catégorie des fadaises.
C’est en effet là que réside le nœud de tous les problèmes que
se sont posés les êtres humains depuis qu’ils ont compris que le monde était
imparfait, depuis qu’ils vivent dans leur chair comme dans leur esprit que la
création est imparfaite. Normalement, ils devraient accuser le Dieu créateur d’avoir
raté sa création, mais on nous dit que c’est un blasphème. C’est pourtant d’une
logique évidente : si le Mal existe, si l’Imperfection existe, ce ne peut
être que de la faute du Dieu créateur omnipotent. Et
si l’on ne veut pas blasphémer, il faut bien aller chercher une explication
ailleurs , et en premier lieu se poser la question de savoir où se situe
le moment de cette rupture, de ce déséquilibre : est-ce lors de la
désobéissance d’Ève et d’Adam, sur l’instigation du Serpent, ou bien lorsque
Lucifer-Satan se révolta, provoquant ainsi le fameux « drame dans le Ciel » ?
Puisqu’il s’agit d’un « drame » cosmique, il est
plus que probable que c’est la révolte des Anges – quelle que soit la réalité
de l’événement – qui est cause du déséquilibre. Lucifer-Satan, c’est-à-dire la
potentialité énergétique qu’il représente, étant le plus fort, l’ Autre , en l’occurrence Dieu, est affaibli : d’où
la Mort, la Maladie, la Souffrance, le Mal. Il est donc nécessaire de remédier
à cet état de fait.
Le texte hittite en convient parfaitement : « Pendant
longtemps, le dieu de l’Orage s’occupa à panser ses plaies et à ruminer sa
vengeance, cherchant comment il pourrait recouvrer ce que le monstre lui avait
volé. Enfin, l’occasion survint. Le dieu de l’Orage alla sur terre et épousa la
fille d’un humble paysan qui lui donna un fils. »
Voilà qui rappelle incontestablement quelque chose. Et ce
texte hittite date d’au moins mille ans avant Jésus-Christ. Il s’agit d’une
version archaïque de celle rapportée par les Évangiles selon laquelle l’Esprit
saint engendra un fils dans le sein de la Vierge Marie. Ainsi apparaît le thème
du Héros prédestiné, du Héros de Lumière qui doit rétablir l’équilibre d’un
univers qui bascule : on voit se profiler des personnages comme Siegfried
ou Lancelot du Lac, et bien entendu celui du Jésus des Évangiles. Mais les
contes populaires de tous les pays répercutent ce schéma, et on y découvre très
souvent un fils vengeur qui vient rétablir le père dans ses droits, provoquant
du même coup le bonheur de son peuple. L’idée ne date pas d’hier.
Cela dit, le fils du dieu de
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