Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
diaboliques, le Dragon en particulier. Ainsi en est-il de la
fameuse Tarasque de Provence. Si l’on en croit Jacques de Voragine ( la Légende dorée ), c’était un « dragon, demi-bête
et demi-poisson, plus gros qu’un bœuf et plus long qu’un cheval. Il avait les
dents aiguës comme une épée et était cornu de chaque côté. Il se tapissait en l’eau,
tuait les passants et noyait les nefs. Et quand on le suivait par un certain
espace de temps, il mettait bas l’ordure de son ventre, ainsi qu’un dard, et
brûlait tout ce à quoi il touchait. »
Voilà une belle description de dragon. Certes, on peut
toujours dire que cette Tarasque symbolise les inondations du Rhône qui sont
parfois terrifiantes et destructrices, néanmoins le mythe est là dans son
intégralité. Le Dragon se présente comme un être monstrueux aux caractères
nettement bisexuels. L’aspect mâle est particulièrement corrosif, et cette « ordure
de son ventre » représente les débordements fécondateurs non maîtrisés, la
force phallique non contrôlée : alors le monde, en rupture d’équilibre, va
à sa perte. C’est pourquoi, dans la légende, sainte Marthe intervient : par
sa patience et sa douceur, éléments féminins, elle parvient à dompter la
Tarasque et à l’enchaîner. Mais ce sont les paysans qui tuent le monstre en le
lapidant. Marthe n’a fait que rétablir l’équilibre entre les deux forces
antagonistes. Désormais, la Tarasque disparue va ressurgir sous des formes
aberrantes dans l’inconscient collectif.
La tradition occidentale ne manque pas de Dragons. Le serpent
Pythôn de Delphes, le serpent Imgard de la mythologie germanique, l’Anguipède
des représentations gallo-romaines, le monstrueux Fafnir de la légende de
Sigurd-Siegfried, le grand Serpent crêté d’Irlande que combat Tristan, l’ Afang de la légende galloise de Taliesin, l’ Addanc que Peredur va tuer grâce à sa pierre magique,
les multiples serpents et dragons des contes populaires, les animaux
fantastiques que l’on y rencontre, voilà des aspects multiples et parfois
divergents du grand Dragon des Profondeurs. Et si l’ensemble de l’humanité
éprouve tant de terreur envers lui, c’est qu’il doit correspondre à une réalité
cachée, qu’on n’ose pas faire surgir au niveau de la conscience. Seuls des
êtres exceptionnels, comme l’Archange saint Michel, sont assez audacieux pour
le réveiller de sa torpeur et le combattre. Mais ce combat contre le Dragon des
Profondeurs n’est-il pas aussi ambigu que l’exorcisme ?
III
LE COMBAT CONTRE LE DRAGON
Si l’on considère la mythologie indienne non pas comme la
plus ancienne – puisqu’elle évolue dans des contextes socioculturels toujours
mouvants – mais comme révélatrice d’un état très antérieur, on peut retrouver
très exactement le combat de Michel et du Dragon dans le mythe d’Indra et de
Vritra. Au premier degré, le récit qui exprime le mythe est le suivant : le
démon Vritra, représenté comme un serpent monstrueux, retient prisonnières les
Eaux fécondatrices. Indra, le héros de Lumière, l’ homme
foudre , se lance à la poursuite de Vritra, le dompte et lui fait vomir
les Eaux. On remarquera une certaine parenté avec le texte de l’ Apocalypse , à propos du Dragon qui poursuit la Femme
et qui tente de l’engloutir dans les Eaux qu’il vomit. Mais dans le récit
judéo-chrétien, la satanisation du Dragon est
déjà accomplie, et son action est jugée comme destructrice. Dans le mythe
indien, on se contente de l’observation d’une réalité : les Eaux sont
contenues dans Vritra, non pas par méchanceté de la part du monstre, mais parce
que c’est ainsi. Vritra est en effet l’image du Chaos primordial où rien n’est encore
différencié. Et il faut l’intervention de l’Esprit, incarné ici par Indra, l’homme-foudre,
pour que cette différenciation se produise. Le combat d’Indra et de Vritra est
donc une confrontation génératrice : la conséquence en est l’apparition de
la Vie par l’interaction des énergies célestes et ignées (Indra) et des
énergies telluriques et aquatiques (Vritra). Le monde atteint par là son
équilibre.
La tradition du Moyen-Orient est déjà plus restrictive quant
au rôle du Dragon : il est en passe de devenir l’incarnation de l’Ennemi, du
déséquilibrateur. C’est la conception qui a présidé à l’élaboration d’un texte
hittite bien connu dont nous possédons
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