Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
insulter et provoquer le
Dragon. Celui-ci vient se plaindre à Dieu et lui demande de lui livrer Baal. Dieu
refuse, et les choses en sont là quand Baal décide de lutter contre le Dragon. Alors
sa sœur lui fournit des armes magiques, « deux massues qui ne manquaient
jamais leur but ». Grâce à elles, il est vainqueur du Dragon : Yam « se
traîna lourdement sur la rive et s’y effondra », puis il dit à son
vainqueur : « C’en est fait, je suis comme mort ! que Baal soit
roi. » Baal est tellement heureux de sa victoire qu’il ne songe pas même
un seul instant à achever le Dragon, et il faut que ce soit Astarté qui l’oblige
à tuer le monstre. « Alors Baal fut rempli de confusion et il frappa le
Dragon à coups redoublés entre les yeux et sur la nuque jusqu’à ce que le
monstre fût étendu inanimé à ses pieds. »
Cependant rien n’est joué. Le monde n’est pas pour autant en
équilibre, et comme le dit le texte cananéen, « ce ne fut pas pour autant
la fin des tribulations de Baal. Maintenant, une nouvelle préoccupation l’assaillait :
roi, il l’était bien, mais roi sans palais ; et sans palais, aucun des
dieux ne voudrait lui rendre hommage ». Cela est dit sous forme de fable
mythologique, mais c’est assez net : la défaite de Yam ne provoque pas le triomphe
de Baal. Quelque chose ne va pas dans le monde, et l’équilibre qui s’était
rompu en faveur de Yam l’est maintenant en faveur de Baal, ce qui n’apporte
rien de plus. Il faut alors l’intervention d’une autre sœur de Baal, Anat, et
de leur mère Ashérat pour que la situation se dénoue. D’abord, le Dragon n’est
pas mort : on l’enferme dans un filet et on le jette à la mer. Puis, après
s’être fait construire un palais sans fenêtres de peur que le Dragon vienne lui
ravir ses femmes, Baal se décide à en finir avec Yam : « Il descendit
jusqu’au rivage de la mer, à l’endroit où le Dragon était enfermé dans le filet,
et il leva son redoutable trident représentant la foudre, et en frappa
violemment le Dragon sur le crâne jusqu’à ce que le monstre ait perdu tout
souffle de vie. » Mais cela n’empêche pas Baal d’avoir des aventures sans
fin : car le monde n’a pas retrouvé son équilibre, et sa propre royauté
est toujours remise en question. D’ailleurs, on ne sait pas très bien si le
Dragon n’est pas encore vivant, et s’il ne guette pas, sous la surface des
flots, le moment opportun pour surgir à nouveau et se lancer à l’assaut du roi
Baal, celui qui détient la foudre, mais qui ne sait pas s’il a un pouvoir réel
sur les Eaux [52] .
Les pièces du jeu sont mises en place. D’un côté, il y a les
blanches, de l’autre, les noires. Mais ceux qui bougent les pièces peuvent
utiliser alternativement les blanches ou les noires. La situation est toujours
ambiguë si l’on s’en tient à déterminer qui, des deux antagonistes, est le « bon »
ou le « mauvais ». L’action déclenchée par le jeu n’a que faire de
notions morales, et ce n’est certes pas le but du jeu qui est intéressant, mais
l’action elle-même qui recouvre une réalité autrement importante : la vie.
Car il n’est pas de vie sans action.
Dans le schéma mythologique, le Dragon représente donc les
forces qu’on dit être inférieures : aussi il est généralement le maître de
la Terre et des cavernes de la Terre comme des eaux profondes de l’océan. Le
dieu de Lumière, lui, est roi du ciel et maître de la foudre. On retrouve bien
entendu ce schéma archaïque dans le mythe de Zeus et de Typhôn, et dans celui d’Apollon
et de Pythôn. Ce dernier mythe représente en outre une substitution de culte :
il est bien évident que lorsque Apollon, dieu céleste et lumineux, d’ailleurs
originaire d’Hyperborée, c’est-à-dire de tradition nordique, lutte contre le
Serpent Pythôn, il s’agit du remplacement d’un culte voué à la Déesse-Terre, symbolisée
par le Dragon, par un culte d’un dieu du ciel. Mais la victoire d’Apollon sur
Pythôn est ambiguë : car si Apollon est le nouveau maître de Delphes, il n’en
laisse pas moins droit de cité à l’antique déesse-mère qu’il a vaincue, ne
serait-ce que par le truchement de la célèbre Pythie, cette prophétesse par l’intermédiaire
de laquelle il peut s’adresser aux humains. Tout se passe comme si, dans le
cadre du mythe delphique, on avait compris que rien ne pouvait être accompli
sans
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