Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
l’Orage grandit. C’est là que
la trame mythologique prend un chemin différent. En effet, l’enfant devient
amoureux de la fille du Dragon. Sur un plan absolu, on pourrait penser que tout
est bien dans le meilleur des mondes possibles : ce que les pères n’ont pu
réaliser, c’est-à-dire l’équilibre des contraires, les enfants vont pouvoir l’accomplir
dans l’amour et non plus dans la violence haineuse. Mais le dieu de l’Orage, qui
n’est finalement pas meilleur que le Dragon, entend tirer parti de la situation.
Il incite son fils à aller demander en mariage la fille du Dragon et à réclamer,
comme cadeau de mariage, « le cœur et les yeux du dieu de l’Orage ». Le
jeune homme obéit à son père. Le Dragon, qui ne sait pas qu’il est le fils du
dieu de l’Orage, lui donne le cœur et les yeux, que le jeune homme s’empresse
de porter à son père. Le dieu de l’Orage, ayant recouvré intégralement sa force,
va combattre son vieil adversaire et parvient à le maîtriser. Mais le fils, qui
comprend alors le rôle qu’il a joué lui-même dans cette affaire, se sent
atteint dans son honneur : il a été l’instrument de la vengeance de son
père et il a trahi son hôte, ce qui est un crime abominable. Il demande alors
au dieu de l’Orage de l’englober dans sa vengeance. Effectivement, « le
dieu de l’Orage lui donna satisfaction, et, fulminant et tonnant, il vint tuer
le Dragon en même temps que son propre fils » [51] .
Et c’est pourquoi, depuis ce temps-là, l’équilibre du monde n’est pas assuré, puisque
le Dragon n’est plus là pour contrebalancer la puissance du dieu de l’Orage. Seul
le Christianisme reprendra le mythe : le fils foudroyé, par la volonté du Père – cela est nettement dit dans
les Évangiles –, va ressusciter et témoigner au monde que l’équilibre peut
quand même être atteint, au prix du sacrifice du Fils, c’est-à-dire du dieu
régénéré. Dans les pays germaniques, il s’agit du mythe de Baldur, fils d’Odin-Wotan.
Dans le mythe celtique, c’est le mythe de Galaad, découvreur du Graal. Mais
combien de héros périront avant d’avoir découvert le Graal ?
Une autre tradition du Moyen-Orient, sémite celle-là, et provenant
du pays de Canaan, rend compte de la même confrontation : il s’agit de l’histoire
de Baal et du dragon Yam, qui a dû influencer de façon profonde tous les textes
de la Bible hébraïque concernant le Dragon des Profondeurs, sous quelque nom qu’il
apparaisse. « Dans l’obscur début des temps, lorsque les dieux se
partagèrent le monde, la terre n’avait encore ni seigneur ni maître. Parmi les
dieux, deux briguaient particulièrement cet honneur : l’un était Baal, dieu
de l’air et de la pluie ; l’autre était Yam, le dragon qui régnait sur les
eaux. » La dichotomie est constante entre la puissance céleste et ignée, d’une
part, et la puissance aquatique et tellurique, d’autre part. Baal prétend que
la terre est vivifiée par ses pluies et ses orages. Yam soutient que c’est
grâce à ses rivières et à ses sources. Ne pouvant se mettre d’accord, ils ont
recours à l’arbitrage de Dieu – qui semble bien être le Yahvé biblique, en tout
cas le Dieu suprême et créateur de toutes choses. Dieu attribue la terre à Yam,
« car l’eau est la plus importante de toutes les choses ».
Voilà donc Yam installé sur la terre. Mais c’est là qu’apparaît
la rupture d’équilibre. Yam « se comporta en tyran et se mit à réclamer
des tributs exorbitants à tous les dieux et à toutes les déesses ». À force
d’être ainsi pillés par Yam, les dieux se décident à réagir. Tout cela
ressemble bien à la Révolte des Anges : le royaume divin est en train de
périr parce qu’il y a abus de pouvoir de la part de Yam. Mais comment mettre le
Dragon des Profondeurs à la raison ? C’est alors que la déesse Astarté
propose de descendre vers Yam et l’attendrir par sa musique et ses charmes. Mais
Yam ne se laisse pas prendre au piège : il veut bien se laisser attendrir,
mais à condition qu’Astarté – déesse de l’Amour et de la Beauté qu’on connaît
aussi sous les noms d’Ishtar, de Vénus ou d’Aphrodite – s’offre elle-même en
tribut. Et Yam promet que s’il obtient ainsi satisfaction, il ne demandera rien
d’autre.
Astarté refuse et va se plaindre à l’assemblée des dieux. Son
frère Baal est outré de la prétention de Yam. Il va
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