Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
grâce ». Et s’il n’y avait pas absorption proprement
dite de l’animal, il y avait du moins aspersion, c’est-à-dire l’équivalent du
bain que prend Sigurd dans le sang du Dragon, ou encore l’équivalent du contact
que réalise Tristan avec la langue du grand Serpent crêté. De toute façon, il y
a échange, sur un plan que certains appelleront « subtil », entre l’animal
sacrifié (Dragon ou taureau) et le sacrificateur, autrement dit le héros de l’aventure.
On comprend alors la substitution des cultes au Monte-Gargano comme au
Mont-Saint-Michel : l’ancien héros-sacrificateur était Mithra représenté
par le prêtre mithraïque ; il est remplacé par Jésus-Christ représenté par
son prêtre, mais personnalisé sous les traits plus adaptés au lieu de l’Archange
saint Michel.
Car le dieu Mithra apparaît nettement comme une sorte de « sauveur »
dans la mythologie indienne comme dans la mythologie iranienne. Il n’est pas un
grand Dieu, du moins dans les croyances primitives. Si l’on admet que la pensée
religieuse indo-iranienne s’est élaborée sur un certain dualisme mettant en
parallèle d’abord, en conflit ensuite, deux forces divines (les forces célestes
et ignées face aux forces telluriques et aquatiques), la place de Mithra est
évidemment dans le camp céleste. C’est un Dieu de Lumière qui, de toute
évidence, à l’origine, a été assimilé au soleil, ou tout au moins symbolisé par
le soleil, avec toute l’ambiguïté que cela comporte, puisque le soleil semble
avoir été féminin dans les traditions archaïques. Comme l’Hélios de l’épopée homérique,
Mithra est le redresseur de torts par excellence, parce qu’il parcourt le monde
et voit tout ce qui s’y passe. Il est donc chargé par les Dieux de surveiller
le bon équilibre du monde et d’intervenir chaque fois que le rapport de forces
penche en faveur des divinités telluriques et aquatiques : il flotte sur les Eaux .
Mais il n’est pas un Dieu primordial. Il joue, dans ce que l’on
appelle le panthéon védique, le même rôle que Lug dans le panthéon irlandais
des Tuatha Dé Danann, le même rôle que Lancelot du Lac dans l’épopée
arthurienne : il est hors-fonction dans
la mesure où il assume à lui seul toutes les fonctions. Dans les Védas , Mithra joue nettement le rôle d’auxiliaire
indépendant et quelque peu marginal du Dieu céleste Varuna. Son personnage est
intimement lié à la lumière et au soleil qu’on appelle parfois « Œil de
Mithra et de Varuna ». Et surtout, d’après certains chapitres des mêmes Védas , Mithra se distingue par la lutte qu’il
entreprend contre Soma. Soma, à l’origine, personnifie la pluie qui provient de
la lune. C’est une divinité vitale, mais aquatique, humide et nocturne. Il
provoque la croissance des plantes et procure la nourriture aux humains et aux
animaux. Chez les êtres de sexe masculin, les sucs végétaux sont transformés en
semence ; chez ceux de sexe féminin, ils sont transformés en lait. Au
décès, le principe vital retourne dans la lune et, quand celle-ci croît, Soma y
afflue comme dans une coupe. Soma constitue alors le breuvage d’immortalité que
les Dieux boivent chaque mois. Dans ce mythe, il est clair que Soma constitue à
la fois la semence du taureau divin qui féconde la terre, et le lait de la
vache divine qui nourrit l’univers.
Mais Soma détient l’immortalité : il en est le maître
absolu, et les Dieux le jalousent pour cette prérogative essentielle. Ils veulent
tous leur part de breuvage d’immortalité, mais ils craignent que Soma ne leur refuse
un jour cette part : ainsi serait renversé l’équilibre du monde au profit
des puissances telluriques et aquatiques, Soma étant
incontestablement l’équivalent du Dragon Fafnir aussi bien que du Dragon
judéo-chrétien. Les Dieux décident alors d’assassiner Soma, et c’est Mithra qui
est plus particulièrement chargé de cette mission. La mise à mort se déroule
comme une liturgie : le sang de Soma devient le breuvage d’immortalité
réservé aux Dieux, aux prêtres et à tous ceux qui participent au culte. Les hommes
obtiennent par là l’immortalité, mais seulement après leur mort physique à
laquelle les Dieux ne sont point soumis.
En passant dans la religion iranienne, Mithra ne perd pas
ses caractéristiques. Il est plus que jamais le Saoshyant ,
le « Sauveur » qui procure aux hommes l’immortalité. Des hymnes
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