Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
« le châtiment du
sacristain Drogon », et remonte vraisemblablement au XI e siècle. Ce sacristain, qui appartenait à un
autre ordre que celui des frères du Mont, se conduisait de façon désordonnée. Certes,
il s’occupait soigneusement de tout préparer pour les offices ; il faisait
soigneusement le ménage ; il veillait à ce que les burettes fussent
toujours pleines ; il nettoyait assidûment les objets nécessaires au culte.
Mais il n’était pas suffisamment recueilli : il faisait trop de bruit en
manipulant les objets sacrés, il soufflait bruyamment sur les cierges pour les
éteindre, et surtout il s’inclinait à peine quand il passait devant l’autel
dédié à saint Michel. Cela lui avait attiré bon nombre d’avertissements de la
part de l’abbé.
Or, un soir, alors qu’il était dans sa cellule, le
sacristain Drogon entendit du bruit dans l’église abbatiale qu’il avait pourtant
fermée. Il alla voir, et remarqua trois pèlerins agenouillés devant l’autel de
saint Michel. La première pensée du sacristain fut d’aller trouver son aide, un
jeune novice nommé Nicolas, de le réveiller et de lui reprocher d’avoir laissé
trois pèlerins enfermés dans le sanctuaire. Nicolas s’étant récrié, Drogon l’emmena
dans l’église où se trouvaient encore les trois pèlerins. Il dit à l’enfant de
constater la vérité, mais Nicolas affirma qu’il ne voyait personne. Alors
Drogon lui donna une gifle retentissante pour lui apprendre à mentir. « Puis
il le saisit par le bras et le conduisit vers l’autel pour lui faire honte
devant les pèlerins qui priaient toujours et qui n’avaient pas tourné la tête
au bruit de la gifle. Drogon passa devant la statue sans s’incliner. Il reçut
aussitôt d’une invisible main un formidable soufflet qui claqua bruyamment dans
l’église et qui le renversa par terre, où il resta quelques minutes étendu sans
connaissance. Et quand il se releva, il s’aperçut que les pèlerins avaient
disparu. » [65]
Le but de ce récit est évidemment d’édifier les fidèles et
de leur inculquer le respect de « monseigneur » saint Michel. On en
profite pour fustiger l’attitude du sacristain, fort injuste envers le jeune
novice. Mais tout cela n’est qu’anecdote : il n’en demeure pas moins que l’on
a voulu, par ce récit, insister sur la puissance permanente de l’Archange, maître
des lieux et susceptible de recevoir qui il veut, quelle que soit l’heure, quelle
que soit la circonstance. Le sanctuaire n’appartient pas aux hommes ; c’est
un lieu divin, ou tout au moins angélique. Et l’Archange manifeste cette
puissance fondamentale en infligeant une gifle retentissante au sacristain. Fable,
bien sûr, mais révélatrice des fonctions de saint Michel : c’est lui le
véritable gardien des lieux. Et il est le maître devant lequel on doit s’incliner.
C’est la présence réelle de l’Archange qui se manifeste, comme s’il voulait
démontrer qu’à cet endroit il avait sa place, et que cette place était
essentielle. On ne construit pas des sanctuaires à saint Michel n’importe où. Le
choix du Mont-Tombe n’est pas dû à des fantaisies de l’imaginaire : c’est
un choix délibéré, et c’est à cet endroit précis que l’Archange doit agir.
Car il agit. Ce n’est pas une statue. Ce n’est pas un simulacre mais une réalité. L’action de saint Michel,
symbolisée ici par la gifle que reçoit le sacristain, est la preuve de son rôle
permanent, la constatation que s’il réside dans le sanctuaire de l’ancien
Mont-Tombe, c’est qu’il y a une raison. On peut songer à cette ligne qui unit
le Mont-Saint-Michel au Péril de la Mer, le Saint-Michael’s-Mount de Penzance
et le Skellig Michael d’Irlande. Le hasard n’existe pas, ni dans les sciences
dites exactes, ni dans les pratiques religieuses.
La seconde légende qui mérite notre attention est la « vision
de l’évêque Norgod », qui date du tout début du XI e siècle. Un matin de l’an 1007, Norgod, évêque
d’Avranches, s’était levé très tôt. De son palais épiscopal, il avait une vue
étendue sur la baie du Mont-Saint-Michel. Le soleil n’était pas encore apparu
et les brumes commençaient à peine à se dissiper, dévoilant lentement les
buttes du Mont-Tombe et de Tombelaine. Norgod contemplait ce spectacle qu’il
aimait, quand tout à coup, en refermant la fenêtre, il s’écria : « Au
feu ! le feu est sur
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