Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
le Mont-Tombe ! Que saint Michel prenne en pitié
ses serviteurs ! » Le jeune clerc qui l’assistait lui demanda des
explications. L’évêque lui répondit : « La flamme s’élève, elle
dévore déjà les cellules, elle crépite, elle s’élance ! je l’entends et
elle m’éblouit ! » Le clerc eut beau lui répéter qu’il ne voyait rien,
que le Mont était toujours dans la brume, et qu’il n’y avait aucune trace d’incendie,
l’évêque persista dans sa certitude. Il fit sceller son cheval et se précipita
au-dehors dans la direction du Mont-Tombe. Et chaque fois qu’il rencontrait des
gens, assez rares en cette heure matinale, il leur criait qu’il y avait le feu
au Mont-Tombe. Il arriva ainsi aux portes de la ville, et répéta les mêmes cris.
Les gardes, puis les habitants de la ville le prenaient pour un fou. Il grimpa
à toute vitesse vers l’abbaye. Le portier le salua comme il convenait et s’étonna
de la précipitation de l’évêque. Norgod fit alors irruption dans les bâtiments
abbatiaux, rencontra les moines en procession. Ceux-ci l’accueillirent avec un
vibrant Benedicamus Domino . Lui, d’un geste d’épouvante,
leur montra l’oratoire. Les moines suivirent leur évêque qui se précipita vers
le pourtour dominant les grèves, justement du côté où, d’en bas, l’incendie lui
paraissait le plus violent. C’est alors qu’il s’aperçut que tout était normal
et qu’il n’y avait jamais eu d’incendie sur le Mont pendant le temps qu’il
avait mis à venir d’Avranches. Mirage ? Vision étrange ? Norgod
comprit alors que saint Michel avait voulu l’attirer dans son sanctuaire dont
il se fit, depuis lors, le fidèle desservant.
Là encore, cette histoire est bâtie aux fins d’édification. Mais
le thème est révélateur : il s’agit du Feu. On sait que le
Mont-Saint-Michel a brûlé bien des fois au cours de l’Histoire, à cause de la
foudre notamment. Mais la vision de l’évêque Norgod sort de l’ordinaire dans la
mesure où c’est le Feu qui l’oblige à se précipiter vers le sanctuaire. Car si
c’est un sanctuaire dédié à saint Michel, c’est avant tout et surtout un
sanctuaire dédié au Feu. L’épée de Michel est flamboyante. Les Archanges sont
des entités célestes flamboyantes. Et le Dragon des Profondeurs lance des
flammes. Avant d’être un sanctuaire chrétien, le Mont-Tombe a été le sanctuaire
du dieu Lug-Belenos. Il ne faudrait pas l’oublier. Michel ne fait que perpétuer
en un lieu sacré le culte du Feu brillant et lumineux qui est celui de la Vie, celui
de l’Action, celui de la Beauté également, car la Lumière est inséparable de ce
qui est beau et parfait. Seulement, il est indispensable de se dire que le
Dragon, qu’on oppose à saint Michel, est lui aussi porteur de Lumière. Ce n’est
peut-être pas la même, mais c’est une Lumière, celle d’ en-bas . Et le Mont-Saint-Michel paraît bien être le
point de rencontre idéal de ces Lumières de nature différente qui pourtant se
rejoignent et s’étreignent lors de la fusion qui s’effectue dans l’éclair, au
moment où les forces de la Terre se haussent sur le sommet du Mont pour
éprouver le baiser fantastique et tonitruant des nuages, réceptacle mystérieux
des forces célestes. L’image de la Foudre est l’image du combat de Michel et du
Dragon. Car leur combat ne mène pas à la disparition du Dragon. Ce combat ne
mène à rien. Il est , et c’est dans un éternel
instant qu’il trouve sa raison d’être.
La symbolique des images étant ce qu’elle est, force nous
est de revenir sur le Dragon. En lui-même, il pose un problème parce que sa
représentation n’est pas nette. Il est à la fois monstre de cauchemar, reptile
antédiluvien, fauve prêt à bondir, animal aquatique visqueux qui se glisse par
toutes les ouvertures de la terre, oiseau fantastique apportant le trouble et
le malheur à ceux qu’il frôle de ses ailes de chauve-souris. Il est le Diable
dans toute sa laideur, mais on sait que le Diable peut avoir une beauté
surnaturelle. Il est le déferlement de l’Inconscient dans les zones les plus
ambiguës de la conscience. Il est le sexe dans son activité la plus primaire. Il
est venimeux, et le contact de sa langue peut provoquer la mort. Il est l’animal
de l’ombre et de l’humidité, et pourtant ses yeux sont capables de foudroyer et
sa gueule vomit alternativement les Eaux primordiales ou les flammes de
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