Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
surgir, par miracle, une source d’eau douce à l’emplacement de l’actuelle
fontaine, sur la rive du nord, sous les remparts de l’abbaye.
Saint-Michel-en-Tombe devint très vite un lieu de pèlerinage
très fréquenté. Sans doute était-on attiré par l’étrangeté du lieu qui se
prêtait fort bien à une évocation du combat de l’Archange et du Dragon. Et cela
d’autant plus que le paysage s’était complètement métamorphosé : la forêt
de Sissiac était devenue une grande plaine d’eau et de sable. Catastrophe
naturelle, bien sûr, qui eut lieu sur une longue période, par suite de l’effondrement
et de l’affaissement des terres entre le Cotentin et les îles Anglo-Normandes. Le
cas n’est pas unique. Mais la légende s’en est emparée et on a voulu faire de
la disparition de la forêt de Sissiac une nouvelle version de celle de la ville
d’Is. Ainsi a-t-on évoqué la destruction du menhir qui se dressait sur le
Mont-Tombe, menhir qui faisait office de signal et de gardien des forces
souterraines. On a ajouté que par l’effondrement du menhir, le Ciel avait voulu
libérer les forces pour donner au lieu choisi par l’Archange son visage
définitif : celui d’une terre dressée face au vent, au feu du ciel, aux
eaux changeantes, celui d’un « centre du monde au caractère unique [2] ».
On n’a guère de renseignements sur le premier établissement
de Saint-Michel-en-Tombe. Il y eut certainement une période de décadence après
la mort de Saint-Aubert, puis une renaissance à la fin du IX e siècle. C’est probablement là qu’on construisit
la chapelle Notre-Dame-de-Sous-Terre, le plus vieux sanctuaire qui existe
encore au Mont, avec une double nef et deux absides, deux autels dédiés l’un à
la Vierge, reine des Anges, l’autre à la Trinité. Au fond, le mur est fait de
blocs de granit qui continuent le rocher du Mont. Les deux nefs sont séparées
par un mur percé de deux arcades en briques plates, ce qui est caractéristique
du style carolingien, héritier de l’architecture romaine. Ce sanctuaire, qui
est maintenant sous terre , était évidemment en
surface, à l’époque.
En 992, un incendie détruisit les bâtiments. La légende s’empara
de l’événement, et l’on raconta que cette destruction avait été annoncée par
une comète et le débordement de la Sélune. La comète est un symbole qui va de
soi quand on évoque saint Michel, mais il est vrai que : « si le
Mont-Saint-Michel est “au péril de la mer”, un autre élément s’y manifeste avec
une rare violence, c’est le feu. Le feu du ciel, élément angélique par
excellence : les anges sont de feu, et la racine du mot “séraphin” signifie
“brûler”. Tout au long de l’histoire du Mont, la foudre va frapper et frapper
encore. Ce sera pour les constructeurs l’une des plus rudes épreuves qu’ils
sauront surmonter » (Paul Sérant). Les dégâts sont réparés en 996, à la
veille de l’An Mil. La charpente en bois de Notre-Dame-de-Sous-Terre a été
remplacée par une voûte de pierre. La crypte de Notre-Dame-des-Trente-Cierges
est réalisée en 1023, et sert de support à la nef de l’église abbatiale : l’art
roman est en passe de submerger l’Europe, récupérant du même coup les
techniques romaines et les délires celtiques.
C’était l’époque des invasions normandes, ou plutôt des incursions
des Vikings sur le territoire des Francs et des Bretons. Le Mont-Tombe, qui
avait de plus en plus tendance à devenir le Mont-Saint-Michel, se fortifia
selon les méthodes du temps. Mais sa position privilégiée, à l’égard des eaux
profondes en dehors desquelles les drakkars ne pouvaient naviguer, éloigna la
menace des Hommes du Nord. D’ailleurs, ce danger normand eut une conséquence
inattendue pour le Mont : en forçant un grand nombre de familles du
continent, aussi bien du côté breton que du côté normand, à chercher refuge
dans l’île, la conjoncture donna naissance au bourg proprement dit. Cette présence
d’une communauté laïque au bas du Mont fut une source de revenus pour la
communauté ecclésiastique qui occupait le sommet et qui commençait à bâtir un
grand ensemble promis aux plus hautes destinées.
C’est Richard 1 er , duc de Normandie, qui, en
966, transforma l’aspect du Mont et lui donna sa dimension nouvelle. Il
découvre en effet que les clercs chargés de desservir le pèlerinage sont peu
soucieux de leurs fonctions et que,
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