Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
d’ailleurs, ils sont trop peu nombreux pour
suffire aux besoins. Il décide alors de faire du sanctuaire de Saint-Michel une
authentique abbaye qu’il organise lui-même et confie à des religieux
bénédictins. C’est l’acte de naissance de l’abbaye du Mont-Saint-Michel.
À partir de cette date, l’abbaye va croître et embellir, et
ses bâtiments conventuels prendre une importance considérable au fur et à
mesure que les pèlerins vont affluer. En 1017, le nouveau duc de Normandie, Richard II,
y fait célébrer son mariage avec la princesse Judith, sœur du duc de Bretagne :
le geste est symbolique, car c’est au Mont que se réconcilient Normands et
Bretons pourtant opposés sur bien des points, ce Mont qui est comme la
frontière mythique et sacrée entre les deux nations. Mais une chose est sûre, la
petite église carolingienne est insuffisante pour contenir tous les invités. Richard II,
en accord avec le maitre des lieux, l’abbé Hildebert II, décide alors de
faire construire une nouvelle église et de nouveaux bâtiments d’accueil.
Les travaux débutent en 1023, sous la direction de Guillaume
de Volpiano, abbé de Cluny, qui vient de terminer la construction de
Sainte-Bénigne de Dijon. Ce mystique et maître d’œuvre de génie n’hésite pas :
en dépit des difficultés, il entreprend de bâtir le nouveau sanctuaire sur le
sommet du roc lui-même, en parsemant les flancs de cryptes qui prendront appui
sur la chapelle carolingienne. « Ainsi commence, à partir du sanctuaire
primitif, ce lent enroulement des édifices qui va préciser, dans le cours des siècles,
le plan en spirale conçu dès l’origine. Plan qui n’est pas sans évoquer, à l’échelle
la plus grandiose, l’humble coquillage des grèves d’alentour. Ainsi marqué du
sceau de la mer qui l’enveloppe, l’ensemble s’offre jusqu’à plus de
quatre-vingts mètres de hauteur à tous les déchaînements du ciel : vent, soleil
et foudre. » [3] Le monastère roman est
achevé en 1063.
Mais, en 1103, une partie de la nef, le dortoir et la voûte
du promenoir des moines s’écroulent et, en 1112, la foudre tombe à nouveau, incendiant
la plupart des bâtiments. Il faut penser à reconstruire, et le plus rapidement
possible, car le Mont, qui est maintenant devenu le Mont-Saint-Michel, devient
le point de mire de toute la chrétienté. L’abbaye, comblée de bienfaits par les
ducs de Normandie, a profité de la conquête de l’Angleterre par Guillaume le
Bâtard : des possessions anglaises se sont ajoutées aux possessions
continentales, en particulier une île, à l’extrême sud-ouest des Cornouailles, qui
deviendra bientôt un prieuré du mont normand, le Mont-Saint-Michel de Penzance.
Les richesses ne manquent pas, mais le temps presse. En 1136, tout est
pratiquement reconstruit, et le prieur Bernard du Bec fait édifier la
grande tour du clocher.
La grandeur de l’abbaye romane trouve son apogée sous la
longue gestion de Robert de Thorigni, entre 1154 et 1186. Il ne faut pas
oublier qu’à cette époque, le Mont était en territoire anglais, puisqu’il
faisait partie des domaines anglo-normands des Plantagenêts. Or, Robert de Thorigni
était un fidèle ami du roi Henry II, le souverain le plus puissant et le
plus riche de toute l’Europe, ce qui ne l’empêchait pas d’ailleurs d’avoir d’excellents
rapports avec le roi de France Louis VII. Robert de Thorigni
bénéficia des largesses d’Henry II, et comme c’était, en plus d’un habile
courtisan, un homme fin et cultivé, amateur d’art, diplomate intelligent et
préoccupé par l’avenir, il fit du Mont-Saint-Michel non seulement un joyau
artistique, non seulement le plus grand centre de pèlerinage de l’Europe occidentale,
mais encore le lieu de rencontre des souverains qui cherchaient à établir la
paix entre eux. C’est au Mont-Saint-Michel, grâce aux bons offices de Rober de Thorigni,
que se déroula la rencontre d’Henry II et de Louis VII, au milieu d’un
cortège grandiose qui comptait, outre les deux plus grands princes d’Occident, un
archevêque, un évêque et cinq abbés dont deux furent plus tard souverains
pontifes.
Mais Robert de Thorigni était résolument dans le camp anglo-normand,
et plus particulièrement parmi les amis d’Henry Plantagenêt dont il approuva, même
dans les plus discutables circonstances, la politique de grandeur et d’hégémonie.
En 1161, en compagnie de l’évêque
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