Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
jugé bon de les signaler. Le
thème de l’inceste est toujours présent dans les théogonies et les cosmogonies,
et c’est le contraire qui paraîtrait étonnant, puisqu’il est essentiel, primordial,
si l’on se réfère au contexte symbolique. Mais dans le cas des filles du roi de
Grèce, cet inceste n’est pas primordial : il résulte d’une déviance de la
part de ces filles. Ce sont elles en effet qui veulent rompre la chaîne en
projetant de tuer leurs maris. Elles sont déjà perverses avant d’être
perverties par les démons incubes. L’inceste qui suit leur monstrueuse
copulation est donc le symbole d’une profonde rupture dans le plan divin, et ne
peut qu’aboutir à des catastrophes que seul un héros de Lumière comme l’est
Brutus, peut interrompre, redonnant ainsi au monde la polarité divine qui était
la sienne. Dans ces conditions, on peut affirmer que la révolte des Anges, suivie
de la chute des mêmes Anges, est à la fois l’acte des Incubes et celui des
filles du roi de Grèce. Celles-ci sont elles-mêmes des Anges déchus, et leur
aînée, Albine (dont le nom exprime la blancheur, comme Lucifer), est la parèdre
femelle de Satan.
On ne peut que penser au personnage de la mystérieuse Lilith.
Ce personnage n’apparaît que de façon secondaire, en tant qu’oiseau de nuit
quelque peu vampire, dans les textes officiels bibliques. Mais elle joue un
grand rôle dans la tradition kabbalistique juive. Lilith est en effet le nom de
la femme créée, bien avant Ève, en même temps qu’Adam, et, comme lui, de la
terre. Yahvé-Dieu la donne alors à Adam comme épouse. Mais Lilith n’est pas
satisfaite de son sort. Selon les uns, elle se prétend l’égale d’Adam, sa sœur , puisqu’elle a été tirée comme lui du limon
de la terre-mère. Selon d’autres, elle se plaint de la « phallocratie »
d’Adam, prétendant que, dans l’acte d’amour, elle est aussi capable d’être dessus que dessous ,
mais Adam refuse obstinément qu’elle soit dessus .
Elle s’enfuit alors, prononçant le nom ineffable de Dieu – qu’elle connaît – ce qui la rend toute-puissante
vis-à-vis du créateur. Yahvé envoie à sa poursuite trois anges, non pas pour la
châtier, mais pour lui faire entendre raison. Lilith refuse de revenir vers
Adam, mais accepte, en revanche, de perdre chaque jour cent de ses propres
enfants. Et Yahvé la donne au mystérieux Sammaël, qui n’est autre que le Satan
primitif encore indifférencié. C’est ainsi que Lilith devient la première
épouse du diable et qu’avec celui-ci elle contribue à pervertir le monde. Mais
d’autres versions en font la propre mère d’Adam, ou encore l’objet de la
dispute sanglante entre Caïn et Abel qui s’entre-tuent pour la posséder. On dit
aussi qu’elle apparaît à Ève, son ennemie acharnée, puisque celle-ci a pris sa
succession auprès d’Adam, sous la forme d’un serpent pour l’inciter à manger le
fruit défendu. À travers cette dernière image de Lilith, se profile déjà le
personnage de Mélusine, la femme-fée à queue de serpent. De toute façon, il est
bien certain que le personnage de Lilith a été écarté délibérément des textes
officiels, pour des raisons qui demeurent obscures (antiféminisme ? souci
d’éliminer l’ésotérisme de la religion juive ?), et qu’il a été occulté, entaché
de diabolisme, refoulé dans les zones les plus profondes de l’inconscient
humain. Cela ne l’empêche pas de ressurgir à certaines occasions, et toujours
en compagnie diabolique. C’est à croire que, primitivement, Lilith formait avec
Sammaël l’image androgyne de l’Ennemi, image androgyne qu’on n’est pas peu
surpris de rencontrer fréquemment dans les représentations diaboliques
médiévales et dans l’évocation des sabbats de sorcières.
Quoi qu’il en soit, il est incontestable que la révolte de
Lilith contre Adam d’abord, contre Yahvé ensuite, correspond à la révolte des
Anges, mais vue sous un aspect féminin qui pourrait d’ailleurs être celui qui
avait cours à l’aube des temps humains, lorsque le mâle n’avait pas encore pris
conscience de son propre rôle dans la procréation et que la Femme jouissait d’une
aura mystérieuse et inquiétante en tant que reproductrice. Au point de vue
théologique comme au point de vue mythologique, la révolte de Lilith est la
même que celle de l’Ange de Lumière devenu Satan. Et elle est le résultat d’un
choix
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