Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
ennemies, sont nés des monstres ou, si l’on
préfère, des êtres anormaux dans tous les sens du terme. Car, à y réfléchir, le
texte de la Genèse n’est nullement péjoratif
envers les Néphilim : ces Géants, nés de
la copulation « monstrueuse » des fils de Dieu et des filles des
hommes, ne sont rien moins que des héros, ces héros fameux de l’ancien temps.
L’interprétation patristique renvoyait à plus tard – et dans
d’autres circonstances – l’examen de la chute des Anges. C’était, sans aucun
doute, une façon commode d’échapper à un problème embarrassant. Mais éliminé de
la discussion théologique et renvoyé à sa dimension historique, cet épisode de
la Genèse n’allait pas disparaître pour autant
de la mémoire collective. En fait, et probablement à cause de cette occultation
officielle, il allait ressurgir plus fort que jamais sous un aspect réellement
mythologique, et parfois même folklorique. On en croise de multiples exemples
dans les traditions populaires les plus diverses. On en a un écho dans le récit
clérical de l’ Historia Regum Britanniae de Geoffroy
de Monmouth, en 1135, à propos de l’arrivée du héros Brutus dans une
Grande-Bretagne infestée de géants. Mais on sait que Geoffroy de Monmouth ne
faisait qu’utiliser et adapter des traditions orales. Le thème réapparaît, largement
développé, à la fin du XIII e siècle, dans
un récit anglo-normand qui tente d’expliquer pourquoi la Grande-Bretagne était
peuplée de géants à l’arrivée de Brutus, ancêtre mythique – d’origine savante –
des Bretons. L’histoire est assez compliquée. Un roi de Grèce a trente filles
qu’il marie à des rois et à des princes. Mais les filles, écoutant les
propositions de l’aînée, décident, puisqu’elles sont mariées par la volonté
paternelle et non de leur propre gré, de tuer elles-mêmes leurs époux, à un
jour fixé d’avance, au moment même où ceux-ci s’imagineraient atteindre la
jouissance. On remarquera, au passage, l’attitude gynécocratique (et non pas matriarcale ) d’une extrême
violence qui sous-tend cette décision prise à froid, en toute lucidité. Cette
attitude « féministe » qui peut aller jusqu’au bout, et qui n’est d’ailleurs
pas exempte d’une certaine perversité sexuelle, offre quelques rapports avec l’attitude
prêtée à la Lilith de la tradition juive rabbinique. Et Satan, de quelque nom
qu’il se pare, n’est pas loin.
Cependant, le projet échoue à cause de la plus jeune qui, sincèrement
amoureuse de son mari, lui dévoile le complot. Les vingt-neuf filles sont
exilées sur un bateau qui vogue sur la mer et aboutit dans l’île de
Grande-Bretagne, alors déserte, et à laquelle l’aînée donne le nom d’Albion, tiré
de son propre nom, Albine. Les exilées, épuisées par leur errance, commencent
par se nourrir d’animaux sauvages et retrouvent une bonne santé. Et c’est alors
que se déroule l’événement marquant de la légende : « La chaleur de
la nature leur fit éprouver le pressant désir, pour leur volupté, de chercher
la compagnie d’un homme. C’était une envie qui ne les quittait pas. »
Malheureusement, elles se trouvaient seules sur cette île inhabitée. Qu’à cela
ne tienne : « Les démons qu’on appelle Incubes s’en aperçurent. Ce
sont des esprits, je vous le dis, pourvus du pouvoir suivant : ils
pouvaient prendre la forme d’un homme, avec toutes ses caractéristiques ! Ils
eurent des rapports avec ces femmes. Les voyant pleines de désir, ils s’unirent
avec elles et engendrèrent nombre d’enfants. Après quoi, ils disparurent. » [18]
Voilà donc les fameux « Incubes », ces démons
mâles qui ont tant tourmenté les femmes, surtout les moins innocentes, au cours
du Moyen Âge. Quand on regarde ce récit de près, on s’aperçoit qu’il s’agit
tout simplement de la transcription, remise au goût du jour, de l’épisode de la Genèse . Les « fils de Dieu » sont
devenus des « Incubes », mais ils sont déjà classés comme des « démons ».
Il n’y a pas de chute à proprement parler, du moins dans le contexte chrétien
qui est celui de l’auteur anonyme, et il ne pouvait en être autrement. En tout
cas, il faut remarquer que la description des Incubes correspond tout à fait à
la définition qu’on donne des Anges à la même époque : ce sont des entités
spirituelles qui peuvent, en certaines
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